EXTRAIT DE LA REVUE DROIT PÉNAL – N° 11 -NOVEMBRE 2019
Arrêts mieux motivés, jurisprudence plus cohérente
Entretien avec Christophe SOULARD, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Le 11 septembre 2019 la Cour de cassation rendait une série d’arrêts en matière de blanchiment et de fraude fiscale, relatifs notamment à la coordination des répressions fiscales et pénales et à l’application du principe Ne bis in idem. Rendus en « style direct » avec une motivation enrichie, ces six arrêts ont pour la première fois fait l’objet d’une note explicative publiée en ligne. À la faveur de ces décisions, le président de la chambre criminelle revient sur le contexte général de la réforme de la Cour de cassation et les objectifs auxquels elle répond pour une meilleure sécurité juridique, chère à Christophe Soulard.

Droit pénal : Avec les décisions du 11 septembre 2019, la chambre criminelle est-elle la première à adopter la réforme du mode rédactionnel des arrêts de la Cour de cassation et la motivation enrichie ?
Christophe Soulard : Des arrêts antérieurs avaient déjà été rendus adoptant ce nouveau style, que ce soit par la chambre criminelle, la chambre sociale ou la première chambre civile. Au sein de la chambre criminelle, une réflexion est menée depuis plusieurs mois sur la rédaction en style direct et la motivation enrichie. Ce travail s’est poursuivi en parfaite harmonie avec le groupe animé par le président Bruno Pireyre et qu’avait mis en place, au niveau de la Cour, le Premier président Bertrand Louvel et c’est avec l’accord de ce dernier qu’il a été décidé d’expérimenter le style direct un peu avant qu’il ne devienne la règle pour tous les arrêts de la Cour. Comme vous le savez, Mme la Première présidente Chantal Arens a confirmé que cette règle s’appliquera aux arrêts dont le rapport aura été déposé postérieurement au 1er octobre 2019. Le délai qui s’écoule entre la date du dépôt du rapport et celle où l’arrêt est rendu variant d’une affaire à l’autre, il en résultera que, pendant quelques mois, cohabiteront des arrêts en style direct et des arrêts en style traditionnel. Les arrêts du 11 septembre ne sont pas non plus les premiers à comporter une motivation enrichie. Mais on pourrait dire que leur motivation est particulièrement enrichie et, de ce point de vue, c’est une première, en tout cas à la chambre criminelle. Ils ont été également l’occasion d’expérimenter une nouvelle manière de travailler, plus collective. Quant au choix de ces affaires, il tient au fait qu’elles soulevaient des questions délicates qui appelaient une réponse développée, tant pour justifier les solutions retenues que pour mieux en faire comprendre la portée.
Dr. pén. : En quoi consistent le style direct et la motivation enrichie ?
C. S. : Il convient de bien distinguer le style direct, qui sera généralisé, et la motivation enrichie, qui ne s’appliquera qu’à certaines décisions, notamment celles qui marquent un infléchissement ou un renversement de la jurisprudence ou qui procèdent à un contrôle de proportionnalité. Le style direct est celui dans lequel chacun de nos concitoyens, y compris les philosophes, les économistes ou les sociologues, s’exprime communément. Autant dire qu’il n’est pas antagonique avec l’utilisation de concepts précis ni avec l’articulation d’un raisonnement rigoureux. Ceux qu’il effraie sont dans la situation de monsieur Jourdain découvrant la prose. Le changement décidé par la Cour de cassation consiste à abandonner un mode de rédaction dans lequel la décision prend la forme d’une phrase unique, ponctuée par des attendus, au profit d’une succession de phrases relativement courtes. Il conduit tout naturellement à numéroter les paragraphes et à introduire des titres (« faits et procédure », « examen des moyens » comportant un « énoncé des moyens » puis une « réponse de la Cour » etc.), permettant ainsi au lecteur d’appréhender immédiatement la structure de la décision et de se référer aisément à tel ou tel passage de l’arrêt. Ces changements s’inscrivent dans un mouvement général, qui s’inspire en partie de la pratique de la Cour de justice et de la Cour européenne des droits de l’homme, et que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont déjà suivi. L’idée de motivation enrichie est différente et peut se concevoir dans un système de phrase unique. Mon prédécesseur, le président Didier Guérin, l’avait d’ailleurs initiée à la chambre criminelle. Il est plus facile de la mettre en oeuvre en style direct. Dans son acception la plus aboutie, elle consiste à exposer les raisons pour lesquelles le principe qui fonde la décision est adopté ou modifié. Ce n’est pas à dire que, jusqu’à présent, la jurisprudence ait évolué sans raisons. Mais ces raisons, bien que constituant le fruit d’un délibéré généralement très riche, n’apparaissaient pas dans les décisions. Il ne faudrait pas non plus en déduire que la Cour de cassation s’apprête à abandonner la figure du syllogisme. Celle-ci restera présente dans toutes les décisions car elle traduit parfaitement le rôle de la Cour, comme d’ailleurs du juge en général, lequel consiste, pour la première, à mettre en regard un principe (la majeure du syllogisme) et une décision de justice (la mineure) pour en tirer une conclusion (rejet du pourvoi ou cassation de la décision).

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AUTEUR(S) : Philippe Conte, Albert Maron, Jacques-Henri Robert