EXTRAIT DE LA REVUE DROIT PÉNAL – N° 6 – JUIN 2019
Prémunir les entreprises du risque de corruption
Entretien avec Charles DUCHAINE, directeur de l’agence française anticorruption (AFA)
Le magistrat Charles Duchaine dirige l’Agence française anticorruption (AFA) créée par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « loi Sapin II »). Il détaille pour Droit pénal le fonctionnement de cette institution ainsi que les missions qui lui ont été confiées par le législateur.

Droit pénal : Quelles sont les missions de l’Agence anti-corruption ?
Charles Duchaine : L’agence à une vocation générale de prévention de la corruption, c’est-à-dire de la corruption, du trafic d’influence, de la prise illégale d’intérêt, du favoritisme, de la concussion et des détournements de fonds publics. On rassemble sous la seule qualification de corruption ou d’atteintes à la probité, toutes ces infractions. Nous avons deux grandes missions :
- une mission de conseil et une mission de contrôle : la mission de conseil consiste à apporter du soutien à toute personne publique ou privée, physique ou morale, qui serait exposée à des risques de corruption ;
- nous avons aussi une mission de contrôle : la loi impose aux acteurs publics en général et aux acteurs économiques de grandes tailles, ceux qui ont au moins 500 salariés et plus de 100 millions d’euros de chiffres d’affaires, l’obligation de mettre en place des dispositifs de prévention de la corruption. Contrairement aux collectivités publiques, pour lesquelles le législateur n’a pas précisé la nature des dispositifs préventifs à mettre en place, la loi a fixé précisément pour les grands acteurs économiques, qu’ils soient privés ou publics comme les établissements publics industriels et commerciaux, les obligations à mettre en oeuvre. Nous ne vérifions pas s’il y a de la corruption dans l’entreprise ou l’administration, mais si les mécanismes de prévention, de conformité anti-corruption ou
- pour reprendre un mot plus à la mode – de compliance sont bien existants, s’ils ont été mis en place et surtout s’ils sont efficaces et utilisés dans la conduite des métiers de l’entreprise. On peut faire de la conformité en mettant en place des mécanismes de façade, nous ne sommes pas un organisme de certification formelle, nous nous livrons donc à un contrôle en profondeur, en vérifiant par exemple si, en pratique, le système d’alerte fonctionne, ou si la cartographie des risques repose sur les risques propres de l’entreprise et sur une méthode sérieuse…
Dr. pén. : Comment est organisée l’agence anti-corruption ?
Ch. D. : L’agence est organisée en fonction des missions qui nous ont été confiées par la loi Sapin II du 9 décembre 2016. Compte tenu de ces deux missions principales de conseil et de contrôle, notre agence est organisée en deux sous-directions : une sous-direction du contrôle et une sous-direction du conseil, de l’analyse stratégique et des relations internationales. Nous avons un secrétariat général, avec un secrétaire général, un secrétaire général adjoint, un responsable des questions informatiques, un chargé de gestion des relations humaines et un chargé de communication. Au niveau de la direction, il y a un directeur, un directeur adjoint et une assistante, qui s’occupe de notre secrétariat. L’agence comprend soixante personnes sur un objectif cible de soixante-dix personnes que nous aurons du mal à atteindre en raison des restrictions budgétaires qui nous obligent à recruter au compte-gouttes. Une grande partie du personnel est dédiée au contrôle, ce qui représente une trentaine de postes. Une trentaine de postes concerne le contrôle, une petite vingtaine le conseil. Les autres postes se répartissent dans les fonctions transversales. Le législateur a prévu que le directeur à la tête de cette agence soit un magistrat de l’ordre judiciaire, hors hiérarchie. C’est une question d’image d’indépendance, et derrière l’image, de réalité bien sûr. Au moment de la création de l’agence, l’objectif cible de soixante-dix personnes avait été lancé sans aucune référence et de manière un peu arbitraire. Le service central de prévention de la corruption existait déjà, mais il avait des missions tellement différentes de celles de l’agence que l’on ne pouvait pas faire de projection en termes de personnel. Aujourd’hui, ce qui me gêne le plus n’est pas de ne pas avoir atteint le nombre de recrutements annoncés, mais d’avoir projeté une organisation sur la base de ce chiffre alors que tous les postes ne sont pas pourvus.
Dr. pén. : Comment s’est déroulée la mise en place de l’agence ?
Ch. D. : Je suis parti d’une feuille blanche. J’ai été désigné comme préfigurateur au mois de novembre 2016 par le ministre de la Justice et le ministre de l’Économie et des Finances, Michel Sapin. On m’a demandé de chercher des locaux et de procéder aux recrutements. J’avais en charge de mettre en place un nouveau service qui n’avait pas connu de précédents. Il s’agissait de créer un métier nouveau et de recruter des personnes non pas qui connaissaient ce métier, mais qui seraient capables de s’y adapter. J’ai pensé à raison ou peut être à tort que la clef du succès était d’aller chercher des personnes dans des milieux les plus diversifiés possible de façon à multiplier nos chances de réussite. J’ai donc recruté des magistrats de l’ordre judiciaire, des magistrats financiers appartenant aux chambres régionales des comptes, des administrateurs civils et attachés d’administration ayant travaillé dans différents ministères…