EXTRAIT DE LA REVUE DROIT PÉNAL – N°3 – MARS 2019
Me Corinne Herrmann, Avocat au sein du cabinet Seban & associés, Corinne Herrmann a fait des affaires criminelles non résolues – les cold cases – sa spécialité.

Droit pénal : Qu’est-ce qu’un « cold case » juridiquement ?
Corinne Herrmann : Il n’y a pas de définition juridique claire, il n’y a d’ailleurs pas de définition officielle du tout. C’est un terme qui provient des États-Unis où la prescription n’existe quasiment pas. Les anglo-saxons ne ferment pas vraiment les dossiers. Aux USA c’est donc un dossier laissé de côté, qu’on ne traite plus. Chez nous à l’inverse, tant que le dossier est encore actif on ne peut pas parler véritablement de cold case. Un dossier, même ancien de 15 ou 20 ans, n’est pas vraiment un cold case tant qu’il est instruit. En France il s’agit donc de dossiers clos dont le juge d’instruction a signé l’arrêt de mort en prononçant une ordonnance de non-lieu et fait ainsi courir le délai de prescription. Dans ce cas le dossier sort des statistiques officielles ; il est – statistiquement – considéré comme résolu alors même qu’on sait le fait criminel avéré et non résolu. Cela représente des milliers de dossiers. Faites le calcul, sur environ 800 meurtres par an, avec un taux de résolution de 80 % cela représenterait près de 160 affaires non résolues par an. Dès lors qu’un non-lieu est rendu c’est comme si l’affaire n’existait plus. C’est uniquement grâce à la pression médiatique qu’on parvient à maintenir des dossiers ouverts. À cet égard les médias sauvent des vies !
C’est pourquoi je milite pour qu’au moins dans les crimes de sang sur mineurs et les disparitions, on ne puisse plus rendre de non-lieu. Il y a un scandale en France, c’est qu’on ignore absolument le nombre exact d’enfants disparus dans des conditions criminelles ces trente dernières années. Quand je vais sur le site d’interpol, je découvre des enfants disparus en France que je ne connais même pas ! On ne les cherche plus, il n’existe pas véritablement de fichier des enfants disparus, pas de site internet centralisant la description des enfants recherchés, ni policiers ni magistrats, ni pôles spécialisés comme cela existe en matière financière, terroriste ou de santé publique.
Dr. pén. : Vous êtes mi-enquêtrice mi-avocate, comment travaillez-vous au sein du cabinet Seban ?
C. H. : Je suis une technicienne criminaliste ou criminologue, à l’audience, le plaideur, c’est Didier Seban. Au cabinet, ma collaboration représente un secteur très spécifique créé par Didier Seban, uniquement dédié au pénal criminel et plus spécialement aux homicides, disparitions inquiétantes et plus récemment aux attentats, toujours pour assurer la défense des victimes. Nous intervenons essentiellement pro Bono, c’est donc la structure qui supporte ce secteur, nous refusons que des familles de victimes qui n’ont pas les moyens soient obligées de vendre leur maison pour faire valoir leurs droits.
Il y a une telle demande que je suis malheureusement obligée de refuser une centaine de nouveaux dossiers par an par manque de financement.
Dr. pén. : Vous n’intervenez plus qu’en partie civile et pourtant vous aviez défendu Francis Heaulme ?
C. H. : Nous avons même obtenu son acquittement alors qu’il reconnaissait les faits et précisément, cette affaire fut le basculement pour moi vers la défense des victimes. J’ai radicalement changé de perspective. Francis Heaulme reconnaît avoir massacré, avec Didier Gentil et une troisième personne depuis décédée, un jeune appelé du contingent à coups d’extincteurs. Lors du procès d’assises, il passe aux aveux mais après une semaine d’audience les deux accusés sont acquittés, c’est une victoire pour la défense assurée par Me Gonzalès de Gaspar pour qui je travaillais alors. Ce crime, c’est pour moi la rencontre d’un tueur en série – Heaulme – et d’un tueur en série en puissance – Didier Gentil – qui sera condamné à la perpétuité des années plus tard pour le meurtre d’une fillette de 7 ans perpétré 2 ans après ces faits.
Je me suis retrouvée hors de la salle d’audience face aux parents de la victime et je ne pourrai jamais oublier leur regard. Ils étaient dévastés, ils avaient été confrontés à des images terribles et j’estime que leur avocat n’a pas été à la hauteur. À mes yeux, Cette famille-là n’a pas été défendue, c’était un scandale. J’ai été frappée par un sentiment d’injustice insupportable. C’est ensuite l’affaire des disparues de l’Yonne 3 qui, dès 1996, me donnera l’occasion de commencer à me battre pour des familles de victimes. Mon combat c’est devenu la justice…

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