EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 20-21 – 18 MAI 2020
La semaine de la doctrine – La vie des idées
Le mot de la semaine
Épandage
À propos de l’épandage des herbicides
Jacques-Henri Robert, professeur émérite de l’université Paris II Panthéon-Assas, expert du Club des juristes

L’origine de la querelle surgie entre les maires et le Gouvernement à propos de l’épandage des produits phytosanitaires au voisinage des habitations est l’article R. 253-45 du Code rural et de la pêche maritime : il réserve aux ministres chargés de l’Agriculture, de la Santé, de l’Environnement et de la consommation le pouvoir de réglementer l’usage des produits sanitaires. Or, les maires sont investis de la police générale dont l’objet est justement la conservation de la santé, de la sécurité et de la salubrité de leurs administrés, et ils ont pu soutenir que, au moins dans leur ressort territorial, la réglementation des épandages litigieux relevait de leur compétence.
Ce conflit très moderne n’est que la dernière péripétie d’un combat bicentenaire entre l’autorité locale et les agents du pouvoir exécutif central. Selon une tradition qui remonte au moins à la loi des 16 et 24 août 1790, « les objets de police » sont « confiés à l’autorité des corps municipaux », lesquels peuvent faire des règlements sur ces matières ; leur sanction était assurée par l’article 471, 15° de l’ancien Code pénal selon lequel « Seront punis d’amende, depuis 1 franc jusqu’à 5 francs… 15° Ceux qui auront contrevenu aux règlements légalement faits par l’autorité administrative, et ceux qui ne se seront pas conformés aux règlements et arrêtés publiés par l’autorité municipale, en vertu des articles 3 et 4, titre 11, de la loi des 16-24 août 1790 et de l’article 46, titre 1 er , de la loi des 19-22 juillet 1791 ». Or, les préfets et les chefs d’État ou de gouvernement prétendirent exercer les compétences des autorités municipales dans le ressort territorial qui est le leur, soit le département ou le territoire national. Plusieurs auteurs considérables se sont élevés contre cette prétention qu’ils présentaient comme une usurpation ; ainsi, Faustin Hélie, pour refuser la sanction de l’article 471, 15° aux arrêtés préfectoraux, soutenait que seul le maire, inspiré par « sa sollicitude paternelle et son inquiète prévoyance », pouvait légitimement protéger ses administrés. Depuis lors, la complexité des règles scientifiques nécessaires à la protection de l’environnement et la faiblesse des moyens techniques et administratifs de la plupart des maires ont évidemment accru le déséquilibre entre l’autorité gouvernementale et le pouvoir local. Imagine-t-on que le maire d’une commune de 200 habitants ose régir l’exploitation d’une centrale électrique, nucléaire ou pas, implantée sur son territoire ?
Mais le fantôme de la sollicitude paternelle des maires hante encore l’esprit des magistrats municipaux, comme le prouva le maire de Langouët lorsqu’il interdit l’épandage d’herbicides à proximité des maisons de sa commune, mais en vain ( TA Rennes, ord. réf., 27 août 2019, n° 1904033, Préfète d’Ille-et-Vilaine, inédit : JurisData n° 2019-014375 ).

LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE
Le magazine scientifique du droit.
Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.
AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck