PAUL LIGNIÈRES, avocat à la cour, associé chez Linklaters, expert du Club des juristes
Une boîte à outils juridique enrichie pour compenser une capacité financière réduite
En 2004, la création de l’Agence des Participations de l’État (APE) mettait fin à un climat délétère résultant d’affaires médiatisées impliquant certaines entreprises publiques. L’objectif du Gouvernement était en particulier de mettre un terme aux multiples conflits d’intérêts, aux interférences purement politiques et à la confusion qui existait entre les différents rôles de l’État qui est tout à la fois actionnaire, régulateur, stratège et client.
Suite à ces réformes, le bilan de l’État actionnaire est aujourd’hui jugé trop financier et patrimonial, alors que l’État devrait valoriser les considérations stratégiques telles que les politiques industrielles.
Et pour cause, la capacité financière de l’État actionnaire est très relative par rapport aux besoins financiers du secteur public. La valeur du portefeuille de l’État est ainsi d’environ 110 milliards d’euros alors que le montant de sa dette dépasse les 2 000 milliards d’euros. De même, les intérêts annuels de cette dette sont d’environ 40 milliards d’euros alors que les dividendes annuels du portefeuille de l’État avoisinent les 4 milliards d’euros. À titre d’exemple, la cession par l’État de sa participation dans le capital d’une société aéroportuaire peut lui rapporter entre 200 et 300 millions d’euros (selon les estimations courantes de sa participation dans l’aéroport de Toulouse). Si l’État souhaitait rembourser sa dette avec de telles cessions, il faudrait alors en réaliser environ 10 000 !
Par conséquent, afin de maximiser le « rendement stratégique » de chaque euro public investi, l’État doit user de son portefeuille comme un instrument de politique industrielle et non pas poursuivre une logique purement financière
Pour les 10 ans de l’APE, le Gouvernement s’était fixé comme objectif d’améliorer la professionnalisation de la gestion des participations de l’État par l’intermédiaire de deux textes.
Le premier concerne les « lignes directrices pour l’État actionnaire », un court texte de soft law dans lequel l’APE liste les quatre types d’entreprises permettant à l’État actionnaire de réaliser ses objectifs : les entreprises stratégiques intervenant dans les secteurs sensibles en matière de souveraineté tels que la défense ou le nucléaire ; les entreprises gérant des services publics concourant aux besoins fondamentaux ; les entreprises déterminantes pour la croissance, notamment celles qui portent un fort potentiel d’innovation et les entreprises en difficulté dont la défaillance représenterait des risques systémiques.
Le second texte est l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 qui refonde à la fois la gouvernance et les règles relatives aux opérations sur le capital des entreprises publiques. L’ordonnance a pour objectif de permettre à l’État d’influencer avec autant de poids et d’autorité qu’un actionnaire de référence de droit commun. Elle permet également à l’État d’élargir son vivier d’administrateurs afin que les entreprises publiques bénéficient de l’expérience des personnes issues tant du secteur public
que du secteur privé. À cela, s’ajoutent d’autres instruments dont jouit l’État : golden shares (actions privilégiées) et autres avantages qu’emporte le statut d’actionnaire de long terme, tels que des droits de vote double, comme le prévoit la Loi Florange .
Concernant ensuite les opérations de cession du capital des entreprises publiques, un décret sera désormais nécessaire pour autoriser les cessions dans lesquelles l’État franchit, à la baisse, les seuils du tiers, de la moitié ou des deux tiers de la détention du capital social. Il s’agit d’un moyen de veiller à ce que la perte de contrôle de l’État soit explicitement validée par le Gouvernement. Enfin, si les procédures de cession sont assouplies, le rôle de la Commission des Participations et des Transferts (CPT) est renforcé puisqu’elle est désormais compétente pour décider à la fois de la procédure, de la valeur et des conditions de cession des entreprises les plus importantes.
La boîte à outils juridique de l’État actionnaire est ainsi renouvelée. Au pied du mur, l’État expérimentera rapidement ces nouveaux instruments. Il revient aux juristes de veiller à ce qu’il en soit fait le meilleur usage.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 50 – 8 DÉCEMBRE 2014