[Etude] « Less is more », Esquisse d’une nouvelle procédure civile minimaliste Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 18 – 6 MAI 2019

LA SEMAINE DE LA DOCTRINE L’ÉTUDE

RÉFORME DE LA JUSTICE

« Less is more », Esquisse d’une nouvelle procédure civile minimaliste

La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a vocation à réformer la justice pour la rendre plus effective, à donner plus de sens aux missions des magistrats et rétablir la confiance des citoyens en la justice. Si la présente loi consacre un certain nombre de mesures concrètes, elle prépare aussi la voie à nombre de mesures qui devraient intervenir par voie réglementaire. Ses principaux apports consistent notamment à recentrer le juge sur son office, à développer les MARD, à élargir le domaine de la représentation obligatoire, à simplifier la procédure de divorce, à créer une juridiction nationale et dématérialisée en matière d’injonction de payer, à fusionner le TI et TGI au sein d’une nouvelle juridiction, le tribunal judiciaire. Le domaine de la présente étude est limité aux aspects de procédure civile.

Julien Théron est professeur de droit privé, responsable recherche European School of Law (ESL), directeur Master 2 Juriste d’affaire-DJCE, université Toulouse 1 – Capitole

1 – Une étape dans le processus de réforme de la procédure. – Appréhender la loi du 23 mars 2019 1 n’est pas chose facile. Outre sa longueur (265 pages et 110 articles), la disparité des mesures qu’elle propose, les réactions et passions qu’elle a pu susciter, il importe de prendre en considération avant tout qu’il ne s’agit, dans le domaine de la procédure civile, que d’une esquisse, de l’étape se situant entre le croquis et le dessin définitif. Seuls certains grands traits de la réforme en cours sont visibles. Son étude oblige certes à se pencher sur les mesures concrètement adoptées, mais ce serait une erreur que de se limiter à cela et d’oublier que ce texte ne constitue qu’une phase au sein d’une réforme globale voulue et pensée par le Gouvernement. Une grande partie des mesures destinées à réformer la procédure civile relèvent en effet de la compétence du pouvoir réglementaire. Si la présente loi consacre un certain nombre de mesures concrètes, elle prépare aussi la voie à nombre de mesures qui devraient intervenir par voie réglementaire. Il s’agit alors de scruter le texte pour envisager ce qu’elles pourraient être.

2 – Le croquis. – Le rapport annexé à la loi, comme le rapport « Améliorer et simplifier la procédure civile » 2 dirigé par Frédérique Agostini (présidente du TGI de Melun) et Nicolas Molfessis remis dans le cadre des Chantiers de la justice, constituent à ce titre de précieux guides. Ce dernier constitue le croquis, sur les bases duquel le projet de la présente loi a été esquissé. Il est donc probable que le ou les décrets à venir entérine(nt) d’autres propositions inclues dans ce document.

3 – La dialectique. – Tout comme lui, la loi du 23 mars 2019 est fondée sur un motif louable. Comme l’intitulé de la loi le précise, il s’agit d’une loi « pour » la justice. Le Gouvernement part d’un constat : la justice va mal et même « de moins en moins bien ». Mme la garde des Sceaux entame ainsi l’exposé des motifs en indiquant : « L’état de nos juridictions… ne répond pas aux attentes des citoyens. Le Gouvernement souhaite engager une réforme de la justice pour rendre plus effectives les décisions des magistrats, donner plus de sens à leurs missions et rétablir la confiance de nos concitoyens dans notre justice ». La dialectique est efficace. En confortant les citoyens ou du moins certains d’entre eux dans leurs a priori , la présente loi ne peut apparaître que salvatrice. La justice est décrite comme en crise, pétrie de lenteurs et de dysfonctionnements, manquant de moyens, inaccessible, inintelligible. La présente loi a alors vocation à solutionner ces difficultés. Le propos manque peut-être de nuance et de délicatesse vis-à-vis de ceux qui chaque jour rendent une justice de qualité. Mais au fond, comment ne pas être séduit, convaincu de la nécessité de la présente loi ?

La démarche est d’autant plus convaincante, que la première mesure manifeste un mea culpa. Nul n’ignore qu’une immense partie des maux traversés par la justice résulte d’un manque de moyens. Le Gouvernement s’engage alors dans le premier article à allouer plus de moyens à la justice. Le budget consacré à la justice passera de 6,7 milliards d’euros en 2017 à 8,3 milliards d’euros en 2022. Il augmentera ainsi de 23,9 %. En outre, ce n’est pas moins de 6 500 emplois équivalents temps plein durant la même période qui sont promis. Comme l’intitulé de la loi l’indique, il s’agit donc véritablement d’une loi « pour » la justice…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck