[Études] La règle de priorité absolue – Olivier DEBEINE, Emilie ROSIER

EXTRAIT DE LA REVUE DES PROCÉDURES COLLECTIVES – N° 6 – NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2021

La règle de priorité absolue se traduit par la mise en place de paiements prioritaires qui peuvent être comparés à une cascade : le flux des paiements ne peut ruisseler dans le bassin aval que par débordement du bassin amont. Conçue et appliquée strictement cette règle pourrait se révéler impraticable. Par exemple, les fournisseurs ne pourraient commencer à être désintéressés qu’après l’achèvement du service de la dette des créanciers privilégiés, ce qui pourrait priver les plans de continuation de la contribution de fournisseurs non substituables. De même cela pourrait empêcher l’apport d’argent frais par des actionnaires existants, qui sont parfois les seuls prêts à soutenir le plan. Toutefois, il nous semble que, correctement interprétée, la règle de priorité absolue permet des flexibilités remarquables propres à construire des plans efficaces.

1 – L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 1, qui transpose en droit français la directive UE 2019/1023 Restructuration et Insolvabilité du 20 juin 2019 opère un changement radical de perspective en ce qui concerne les conditions dans lesquelles le tribunal peut imposer un plan de sauvegarde ou de continuation.
2 – Un régime juridique spécifique est institué, gouvernant l’adoption du plan par des classes de parties affectées et son arrêté par le tribunal.
3 – Le périmètre de ce régime inclut les procédures de sauvegarde accélérée. Elles consistent à faire adopter rapidement, selon les règles et majorités des procédures collectives, un plan qui n’a pas recueilli l’accord de toutes les parties affectées dans le cadre d’une procédure de conciliation. La constitution de classes de créanciers y est obligatoire dans tous les cas.
Le champ d’application de ce régime est important puisqu’il concerne aussi les dossiers de sauvegarde et de redressement, si les seuils alternatifs suivants sont atteints : soit 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires net ; soit 40 millions d’euros de chiffre d’affaires net (C. com., art. R. 626-52).
4 – Or, ce nouveau régime introduit des changements de perspectives
majeurs.
Auparavant, le tribunal pouvait très largement imposer aux créanciers des plans de continuation ordonnant des délais uniformes de paiement, jusqu’à 10 ans, s’appliquant à ceux qui ne les avaient
pas acceptés (C. com., art. L. 626-18 et L. 626-12) 3. En application des nouvelles dispositions, il ne pourra le faire, dans le cadre du régime des classes de parties affectées, qu’avec leur accord, exprimé par un vote au sein de chaque classe.

5 – Faute d’accord de toutes les parties affectées, l’arrêté du plan de continuation est désormais subordonné notamment à la preuve de ce qu’il n’est pas moins favorable aux parties dont l’accord fait défaut, désignées sous le terme de dissidents, qu’un plan de cession, une liquidation ou toute alternative au plan de continuation (C. com., art. L. 626-31).
6 – C’est le test dit « du meilleur intérêt » :
« Lorsque des parties affectées ont voté contre le projet de plan, aucune de ces parties affectées ne se trouve dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qu’elle connaîtrait s’il était fait application soit de l’ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l’entreprise en application de l’article L. 642-1, soit d’une meilleure solution alternative si le plan n’était pas validé » (C. com., art. L. 626-31, 4°).
7 – Il s’agit d’une dérogation importante au droit préexistant. Antérieurement, le tribunal pouvait imposer des délais uniformes de paiement à des créanciers les ayant refusés dans le cadre de la consultation individuelle, y compris à la suite de l’échec d’une adoption en comités. Le tribunal n’avait alors pas à se préoccuper de vérifier qu’ils n’étaient pas moins bien traités qu’en cas de plan de cession ou de liquidation judiciaire.
En redressement judiciaire, le plan de continuation était prioritaire sur le plan de cession. La sauvegarde de l’activité et de l’emploi l’emportait sur le paiement des créanciers titulaires de sûretés réelles.
8 – En outre, lorsque les classes de parties affectées n’ont pas adopté le plan, le nouveau régime introduit une autre innovation majeure. En effet, dans cette situation, le débiteur ou l’administrateur avec son accord en sauvegarde (C. com., art. L. 626-32) et en redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-19), mais aussi une partie affectée dans cette dernière procédure, peuvent demander au tribunal son application forcée interclasse. Le plan de continuation ne peut dans ce cas être arrêté par le tribunal qu’à la condition que soient remplies, outre les conditions posées à l’arrêté par le tribunal d’un plan adopté par les classes de parties affectées en présence de dissidents (C. com., art. L. 626-32, 1°, renvoyant à C. com., art. L. 626-31, al. 2 à 7), comprenant celle du meilleur intérêt, certaines conditions supplémentaires, dont celle dite de « priorité absolue ».

  1. Ord. n° 2021-1193, 15 sept. 2021 portant modification du livre VI du Code de commerce : JO 16 sept. 2021, texte n° 21. – V. Rev. proc. coll. 2021, dossier 6 à 11.
  2. Sauf précision contraire, nous emploierons le terme plan de continuation pour désigner à la fois les plans de sauvegarde et les plans de redressement par voie de continuation.
  3. Le tribunal devait s’assurer que les intérêts de tous les créanciers étaient suffisamment protégés (C. com., art. L. 626-18, applicable au redressement judiciaire par renvoi de C. com., art. L. 631-19 en cas de consultation individuelle. – C. com., art. L. 626-31, applicable au redressement judiciaire par renvoi de C. com., art. L. 631-19 en cas de constitution de comités de créanciers).

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