Franchissements de seuils

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°19

JACQUES BUHART, avocat, associé gérant du bureau de Paris, McDermott Will & Emery,
expert au Club des juristes
NICOLAS LAFONT, avocat, McDermott Will & Emery 

La fin du Far-West

À la suite de l’affaire LVMH/Hermès , le président de l’AMF, Jean-Pierre Jouyet, s’est fendu de la remarque suivante : « Trop souvent, la France reste le Far-West en matière de prise de contrôle des sociétés et de dépassement de seuil ». Conscient des faiblesses de la réglementation actuelle, le législateur vient de réagir en adoptant la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives (dite loi Warsmann ). Ce nouveau régime entrera en vigueur le 1er octobre 2012.

Un bref rappel contextuel s’avère nécessaire. La directive européenne
dite Transparence du 15 décembre 2004 avait été transposée a minima par la France sous les articles L. 233-7, L. 233-9 et L.233- 14 du Code de commerce. Ainsi, la réglementation prévoyait que pour le calcul du franchissement des seuils de détention du capital ou des droits de vote de sociétés dont les actions sont admises sur un marché réglementé, les titres, accords ou instruments financiers devant être assimilés aux actions dites « en dur » se résumaient aux actions contrôlées directement ou indirectement de concert ou de manière optionnelle à la seule initiative du déclarant (il s’agit principalement des actions déjà émises que le déclarant est en droit d’acquérir par le biais par exemple d’une option d’achat). Au contraire, étaient exclus de ce périmètre d’assimilation les titres, accords ou instruments financiers qui ne donnent pas accès à des actions de manière certaine, et en particulier les instruments financiers à dénouement monétaire ( cash settled derivatives ).

Or l’utilisation de ces instruments financiers à dénouement monétaire peut entraîner des conséquences particulièrement négatives pour la stabilité du marché. Les affaires Wendel et LVMH/
Hermès ont parfaitement illustré ces problèmes. Dans cette dernière affaire, le groupe LVMH avait utilisé des instruments financiers à terme dénommés equity swaps pour monter brutalement au capital de la société Hermès. En effet, si un instrument à dénouement monétaire se dénoue par définition par un paiement en numéraire, il peut en pratique se dénouer également par la livraison des titres sous-jacents. Il suffi t pour cela de conclure un avenant avec la banque, cette dernière ayant l’obligation de détenir les titres sous-jacents et n’ayant pas vocation à les conserver. Ainsi, le groupe LVMH n’avait-il aucune obligation de déclaration de franchissement de seuils au jour de la conclusion des contrats d’ equity swaps . Ayant ensuite conclu des avenants avec les banques prévoyant une livraison physique des titres Hermès, LVMH a pu passer brutalement le seuil de 15 % du capital d’Hermès sans qu’aucun signe avant-coureur n’ait pu permettre d’anticiper cette montée en puissance.
Le rapport Field publié sous les auspices de l’AMF en octobre 2008 avait déjà préconisé le principe de l’assimilation totale des instruments financiers à dénouement monétaire aux actions « en dur ».
Pour autant, l’ordonnance du 30 janvier 2009 n’avait pas franchi le pas et avait préféré retenir un système « d’information séparée ».
L’affaire LVMH/Hermès a cependant mis au grand jour les faiblesses de la législation française. D’autant plus que nombre de nos voisins européens ont déjà adopté un régime d’assimilation
(Allemagne, Portugal, Royaume-Uni, Suisse…) et que la Commission européenne a publié le 25 octobre 2011 une proposition de directive modifiant la directive Transparence et prévoyant un
régime d’assimilation.

Ainsi, la loi Warsmann du 22 mars 2012 reprend-elle les dispositions principales de la proposition de loi du sénateur Marini en date du 29 juin 2011 :

1. Son article 25-II assimile désormais les instruments financiers dénouables en espèce aux actions « en dur » pour le calcul des franchissements de seuils.

2. Son article 25-IV exclut les instruments financiers dénouables en espèce du calcul du franchissement de seuil des OPA obligatoires.

3. Son article 25-1 oblige le déclarant à préciser ses intentions quant au dénouement des instruments financiers dénouables en espèce.

4. Son article 25-I renvoie au règlement général de l’AMF le soin de préciser les conditions dans lesquelles une modification de la répartition entre les actions « en dur » et les actions assimilées doit
être déclarée.

Il est à noter que la loi Warsmann n’a en revanche pas repris la proposition du sénateur Marini de créer un douzième seuil légal de déclaration à 3 % du capital et des droits de vote. La quête de la transparence du marché n’en a pas fi ni de soulever débats et controverses !

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 19 – 7 MAI 2012

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