Gouvernance

Extrait de la Revue : La Semaine juridique Edition Générale n°16

JEAN-JACQUES UETTWILLER, avocat à la cour – UGGC Avocats, expert du club des juristes

Faut-il repenser le statut du dirigeant d’entreprise ?

Le débat sur la rémunération des dirigeants d’entreprises a-t-il progressé ? Depuis plus de dix ans, les législations se durcissent sans qu’il n’en résulte beaucoup plus qu’un surcroît de formalisme pour les entreprises. Le premier trimestre de 2013 a néanmoins été marqué par deux événements importants.

Le premier, prospectif, ne manquera pas d’influencer le projet de loi sur la gouvernance des entreprises annoncé pour les semaines qui viennent. Il s’agit du dépôt, le 20 février 2013, du rapport de la Commission des lois de l’Assemblée nationale sur « la transparence
de la gouvernance des grandes entreprises ». Il préconise de transférer à l’assemblée générale des grandes entreprises la décision sur les rémunérations des dirigeants, par un vote triennal, ex ante , sur les principes et les grandes lignes de la politique de ces rémunérations et par un vote annuel, ex post , sur le détail des rémunérations sous toutes formes (système dit du say on pay ).
Le seul point de divergence entre les deux co-rapporteurs porte sur le caractère indicatif ou contraignant de ce vote, ce qui est au demeurant peu important dans la mesure où la pression sociale issue d’un vote indicatif de rejet l’emportera.

Pour compléter le dispositif, il est proposé de surtaxer les hauts revenus (quels qu’ils soient) et de limiter la déductibilité fiscale des rémunérations supérieures à trente fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit environ 1,1 million d’euros).

Le deuxième événement est le résultat du référendum d’initiative populaire du 3 mars 2013 en Suisse « en vue de protéger l’économie, la propriété privée et les actionnaires et d’assurer une gestion d’entreprise durable (…) ». Adopté à une large majorité et avec l’unanimité des cantons et complétant la constitution fédérale, il soumet la fixation des rémunérations des dirigeants des
sociétés anonymes cotées (en Suisse ou ailleurs) au vote annuel des actionnaires, et interdit les packages de départ. Outre ces deux points importants, les mandats sont désormais d’une durée
annuelle et la décision ne pourra pas être collégiale, l’assemblée devant voter sur chaque dirigeant individuellement (le vote « un par un »). Les caisses de pension doivent voter dans l’intérêt
de leurs assurés et communiquer leurs votes. Le cumul avec un contrat de conseil ou un autre contrat de travail avec une société du groupe est interdit.

On peut se demander s’il est de la fonction de l’État, dans une économie libérale, de se préoccuper de la rémunération des dirigeants des sociétés cotées et la motivation du référendum suisse citée ci-dessus peut ne pas emporter l’adhésion.

Reste qu’à l’heure actuelle, ce sujet mobilise tous les législateurs.
Dès l’annonce des résultats de la votation suisse, un commissaire européen, le Premier ministre français et un membre du gouvernement allemand, manifestaient leur intérêt. De même, le Royaume-Uni envisagerait de rendre contraignant le vote des actionnaires sur les rémunérations alors qu’il n’est actuellement qu’indicatif. Globalement, c’est plus de la moitié des 27 États membres de l’Union qui appliquent ou envisagent d’appliquer le say on pay.

Peut-être avons-nous oublié que les anciens garde-fous existent toujours même s’ils sont peu utilisés. Depuis longtemps, les rémunérations excessives sont sanctionnables par les mécanismes classiques du droit des sociétés et du droit fiscal. Mais il faut dire que la notion d’excès a évolué dans le temps et que ce qui était excessif il y a quelques décennies est devenu modéré au XXI ème siècle. De même, le vieux principe français de la nullité de tout mécanisme pouvant limiter la libre révocabilité ad nutum des mandataires sociaux demeure (peut-être) certes un peu édulcoré.
Toujours est-il que l’exemple de la Grande-Bretagne qui a instauré le vote, certes indicatif, des actionnaires sur la rémunération des dirigeants sociaux, démontre que cette mesure n’a eu aucun effet modérateur sur le niveau des rémunérations. De même, en 2012, seules 53 (2,6 %) des  2 025 entreprises américaines ayant fait voter leurs actionnaires sur les rémunérations des dirigeants ont vu ces résolutions rejetées.

Il est temps de repenser le statut du dirigeant d’entreprise pour le replacer dans son environnement actuel. Avec quelques exceptions, notables, le dirigeant n’est plus le représentant de la famille actionnaire, mais d’une classe de dirigeants professionnels qui passent d’une entreprise à l’autre, quels que soient les échecs ou les succès. Au fil du temps, les statuts de dirigeant et de salarié (supérieur) se sont peu à peu rapprochés et, à force de mêler les genres, il est devenu bien difficile de faire la part des choses

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 16 – 15 AVRIL 2013

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