Des héros de notre temps

EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 9-10 – 26 FÉVRIER 2018 – © LEXISNEXIS SA

EDITO

Des héros de notre temps

« Tous des ténors du barreau. Ils agacent et ils fascinent. On les haït ou on les magnifie. Ils défraient la chronique quand ils ne font pas l’objet d’hagiographies. » 

Extrait-JCPG10-EditoHier c’était Jacques Vergès, avocat de Klaus Barbie. Aujourd’hui c’est Éric Dupond-Moretti, avocat d’Abdelkader Merah. Pierre Haïk, avocat de Laurent Gbagbo. Ou encore Marc Bonnant, avocat de Tariq Ramadan. Sans oublier Hervé Témime, Thierry Herzog, Henri Leclerc, Xavier Nogueras, Francis Szpiner, Emmanuel Pierrat. Et bien d’autres encore. Tous des ténors du barreau.
Ils agacent et ils fascinent. On les haït ou on les magnifie. Ils défraient la chronique quand ils ne font pas l’objet d’hagiographies. L’imaginaire de l’époque confirme cette représentation contradictoire. On se les figure tantôt oeuvrant dans les couloirs des grands cabinets, le secret des bureaux ministériels ou les tables discrètes des restaurants étoilés, tantôt déchaînant les enfers devant les foules des prétoires avides de plaidoiries prodigieuses et de déclarations bouleversantes dont ils ont le secret.
Vergès avait trouvé la parade en annexant Hippocrate : « Je ne soigne pas la maladie, je soigne le malade » s’était transformé en « Je ne défends pas le crime, mais la personne qui l’a commis ». C’est devenu un topos. Le pénaliste est le confesseur des temps modernes. À force de fréquenter le criminel, il entretient une familiarité métaphysique avec le crime. Ou plutôt il sait mieux que quiconque combien le passage à l’acte n’a rien d’un événement exceptionnel. Que personne n’est à l’abri. Que la frontière qui sépare la société de l’anti-société est en carton-pâte. N’ayant plus aucune illusion sur la nature humaine, les pénalistes représentent certainement les derniers grands témoins audibles sur le mystère du mal et sa fatale réversibilité.
Écoutés pourtant, ils ne le sont pas tous. Car la profession a ses stars, mais aussi, et plus nombreux, ses anonymes. Les comparutions immédiates, les audiences devant le juge des libertés et de la détention, devant le juge de l’application des peines, les entretiens dans les parloirs des prisons, les commissions de discipline, les personnes en garde à vue qu’il faut aller chercher au commissariat à toute heure du jour et de la nuit, la semaine, le week-end, les heures d’attente, les déplacements absurdes, tel est leur lot inlassablement recommencé. L’angoisse de ne pas y arriver, l’inquiétude de décevoir, l’impression d’une responsabilité immense et puis, par fatigue souvent, la désinvolture coupable, la révolte intérieure, l’envie de tout envoyer balader. L’impression, parfois, qu’il n’y a rien de plus injuste que la justice.
De tout cela, même les plus grands, ceux qui ont survécu et se sont imposés, portent les stigmates. Ils n’oublient pas les années de galère, les racontent et les consignent, même si les triomphes ont ceci de savoureux qu’ils atténuent les souffrances et les peines qui les ont permis. Ils le savent aussi, la lumière ne les préserve pas du doute, des menaces, des échecs, du métier qui abîme, tant les victimes et les coupables sont tous des amputés. Vive les grands, donc. Mais vive aussi les autres, non moins grands, ceux qui ne sont pas (encore) dans la lumière, ceux qui agissent dans l’ombre pour que n’importe quel accusé soit assuré qu’un avocat se portera en sa défense.

Anastasia Colosimo

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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