Infonuagique

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°11

ÉDITO

 Jean Hauser  

« Y aura-t-il un « contrat de nuage », de dépôt, au régime juridique à construire ? »

Pour ceux qui n’ont pas la langue française au coeur, comme nos amis de la belle province, il s’agit du cloud. Dernière coqueluche de la planète informatique, il s’agit de stocker, ailleurs que sur sa bécane ou sa clé, toutes les informations possibles, images, photos etc… Celui qui se charge de ce stockage, qui n’est au fond qu’un garde-meuble virtuel, vous attend donc « dans les nuages » faute de trouver un lieu plus précis. Ainsi aurons-nous, au – dessus de nos têtes, toute notre histoire, ce qui n’est pas sans poser quelques questions juridiques. Y aura-t-il un « contrat de nuage », de dépôt, au régime juridique à construire ? Il faudra désormais se méfier du mot « nuage » sous peine de grosses confusions. Plus question de vivre sur son petit nuage (le pauvre qui n’a presque rien à stocker), ni non plus de parler de « temps nuageux » (celui qui a stocké ce qu’il ne fallait pas) ou encore de nuages qui s’amoncellent (après une perquisition dans le nuage ?) et l’élève qui est « dans les nuages » sera réhabilité puisque son apport aura été stocké dans ce nouveau firmament. Avant de ranger son passé dans les nuées, on le rangeait dans les greniers où rapidement la poussière faisait son oeuvre et les héritages ensuite, témoins les nombreux vide-greniers. Désormais ne faudrait-il pas prévoir des vide-cloud qui permettraient de faire un peu de place ? Mais le pire est ailleurs. N’allons nous pas être écrasés par ce stock de souvenirs, de documents, de photographies ? Dans la littérature juridique, déjà encombrée de références, qui amènent beaucoup d’écrits à comporter trop de notes (qu’on ne lit pas !) et, parfois, en proportion inverse, moins de pensée, le risque est patent. La meilleure oeuvre sera celle qui aura le nuage le plus chargé, jusqu’à la tempête incluse, et le jugement des oeuvres sera confié aux météorologues du cloud alliés aux robots humanoïdes, héros de l’intelligence artificielle. On n’oubliera plus rien mais on ne raisonnera plus non plus, courbés que nous serons sous ce grenier maudit où les serpents du passé siffleront sur nos têtes. Après tout, peut-être faut-il oublier un peu pour créer beaucoup ? Les Gaulois avaient donc raison puisque, selon la vulgate de l’école primaire du passé, ils ne craignaient qu’une chose, c’est que le ciel leur tombe sur la tête. Et puis, on sent bien que cela va poser des problèmes, au moins pour les religions qui situent les actes vertueux au ciel. Ceux-ci iront donc dans le cloud , pourtant déjà bien encombré de nos petites mesquineries terrestres. Mais ceux qui ne le méritent pas, où les mettra-t-on ? Y aura-t-il un cloud d’enfer pour tout ce qui ne sera pas conforme, comme il y avait un « enfer » (sic) dans les bibliothèques où l’on mettait les ouvrages licencieux ! À la fin, pour ceux qui y croient, nos péchés, dont on dit qu’ils nous suivent, seront-ils stockés dans le cloud ? Faudra-t-il, avant de passer, confesser son cloud pour les purger ? On sent bien que cette nouvelle technologie va faire réfl échir, ce qui ne serait pas de trop. Que fera-t-on de tout cela ? Le cloud nous survivra t-il et qui en héritera (s’il présente un intérêt) ? Fera t-il partie des souvenirs de famille (mon grand-père dans le cloud ) ? Pour parodier Lavoisier, la nouvelle maxime qui gouverne le monde sera-t-elle : rien ne se perd, rien ne se crée tout se conserve…dans l’infonuagique ?

 LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE N°11 – 13 MARS 2017

semaine juridique n6 couverture

La Semaine Juridique – Édition Générale

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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