Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°28
LE MOT DE LA SEMAINE
Pascal Bine, avocat associé, Skadden, partenaire du Club des juristes
Le dernier sommet européen à Bruxelles n’a pas repris la proposition d’Emmanuel Macron visant à mettre en place un contrôle européen des investissements étrangers. Indépendamment des considérations politiques, extrêmement sensibles, la mise en place d’un tel contrôle constitue un vrai défi au niveau juridico-institutionnel. De ce point de vue, trois options ont été évoquées jusqu’ici. La première option, intellectuellement séduisante mais irréaliste, porte sur la mise en place d’un organe équivalent au CFIUS américain au niveau européen. L’Europe est une association économique et politique d’États et non un État souverain. Les sujets de défense et de sécurité nationale doivent nécessairement être traités à l’échelon des États membres. Le Traité de Lisbonne réserve d’ailleurs les questions d’ordre public et de sécurité publique à ces derniers. La seconde option consiste à limiter le contrôle européen des investissements étrangers aux questions de sécurité économique (secteurs stratégiques, infrastructures essentielles, technologies sensibles, ressources vitales). Elle implique un contrôle à deux étages, avec une séparation des compétences claire entre les deux pour éviter, comme en matière de contrôle des concentrations, tout risque de chevauchement. Si l’on suit la logique du Traité de Lisbonne, la solution revient à maintenir les questions d’ordre public et de sécurité publique au niveau des États membres et réserver les questions de sécurité économique à la Commission européenne. C’était le sens de la proposition faite en février dernier par Brigitte Zypries, ministre de l’économie allemande et son homologue de l’époque, Michel Sapin. Un tel schéma soulève deux interrogations. Peut-on vraiment séparer les enjeux de sécurité publique et de sécurité économique ? Certaines opérations (ex : l’acquisition d’un opérateur national de télécom par un investisseur étranger) soulèvent à la fois des questions de sécurité publique (ex : interception et détection à distance des communications) et d’intérêts économiques. En outre, à quel échelon seraient traitées les questions de sécurité technologique ? Cette approche impliquerait de définir une nouvelle notion de sécurité économique européenne et d’en délimiter précisément les contours. Cela supposerait d’introduire de nouveaux concepts en droit européen (« intérêts essentiels européens », « filières économiques stratégiques ») et d’établir une liste d’activités stratégiques européennes suffisamment précise et limitative pour éviter toute incertitude sur le fait de savoir si tel ou tel projet d’investissement étranger relève de la compétence des États membres ou de la Commission européenne. La troisième option, plus classique, consiste à privilégier l’harmonisation des règles au niveau européen et la coopération entre les États membres. Elle revient à mettre en place une directive européenne qui définirait les concepts applicables en matière de contrôle des investissements étrangers et les principes à suivre en matière de procédure de contrôle, en laissant le soin à chaque État membre de mettre en oeuvre son propre dispositif dans le respect des normes fixées par la directive. L’établissement d’un texte européen serait l’occasion de confirmer que le concept de sécurité nationale ne se limite pas aux questions d’ordre public et de sécurité publique stricto sensu mais qu’il recouvre également les enjeux de sécurité économique et technologique, comme aux États-Unis. Quant aux relations entre les États membres, l’intervention récente du CFIUS dans des dossiers d’investissements étrangers européens montre que la coopération interétatique est nécessaire dans ce domaine. La deuxième et la troisième options ne sont pas exclusives l’une de l’autre. La deuxième option est évidemment ambitieuse. Elle nécessite de modifier le Traité de Lisbonne afin d’ajouter une exception à la libre circulation des capitaux, ce qui requiert l’accord unanime des États membres et donc un consensus politique qui fait défaut aujourd’hui.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°28 – 10 JUILLET 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck