Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°17
ÉDITO
Denis Mazeaud
« La règle innovante, qui confère au droit de la responsabilité civile une fonction préventive, est désormais cantonnée à la seule responsabilité extracontractuelle. »
Le 26 avril 2016, le ministère de la Justice diffusait sur son site un avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile pour recueillir les suggestions du peuple des juristes. Le 13 mars 2017, un projet de réforme a été présenté par le garde des Sceaux. Quoi de neuf, docteurs, par rapport à la précédente livraison ? D’abord, le tiers victime d’un dommage causé par un débiteur contractuel dispose désormais d’une option. Soit, il peut, mais à condition de démontrer que le manquement contractuel constitue à son égard une faute extracontractuelle, exercer une action en responsabilité éponyme. Soit, il peut, s’il prouve qu’il a un intérêt à la bonne exécution du contrat, exercer une action en responsabilité contractuelle contre le débiteur, lequel pourra alors l’attraire dans son contrat. Voilà une option qui emporte une remarquable évolution des frontières entre les deux ordres de responsabilité. Ensuite, la faute de la victime privée de discernement, qui avait été désactivée dans l’avant-projet, retrouve un peu de verdeur dans le projet puisqu’elle la privera de toute indemnisation si elle présente les caractères de la force majeure. Solution justifiée si on raisonne en termes de causalité, mais à l’égard de ces personnes que notre droit de la responsabilité assimile, avec une froide rigueur, aux personnes ordinaires, on aurait pu délaisser la technique juridique et privilégier l’équité. De plus, alors que l’obligation imposée à la victime de minimiser son dommage avait été portée sur les fonts baptismaux par l’avant-projet, le projet en limite le domaine. Elle ne la cantonne pas à la seule responsabilité contractuelle et l’exclut opportunément en matière de dommage corporel.
En outre, la liberté de la victime de disposer des dommages-intérêts, qui lui ont été alloués par le juge, qui avait été rognée par l’avant-projet qui réservait l’hypothèse de circonstances exceptionnelles aux termes desquelles le juge pouvait la neutraliser, retrouve sa pleine mesure dans
le projet. Évolution favorable aux victimes. Par ailleurs, la règle innovante, qui confère officiellement au droit de la responsabilité civile une
fonction préventive, en permettant au juge de prescrire des mesures propres à prévenir le dommage ou faire cesser le trouble illicite, est désormais cantonnée à la seule responsabilité extracontractuelle. Il en va de même pour l’amende civile dont le régime est, en outre, modifié. D’abord, la calamiteuse notion de faute lourde délibérée est abandonnée au profit de la faute lucrative. Ensuite, et c’est heureux quant au succès de cette mesure, le juge peut la prononcer à la demande du ministère public. Enfin, le montant maximum de l’amende infligée à une personne morale est ramené à un montant raisonnable. Enfin, la victime conductrice d’un accident de la circulation n’est toujours pas une victime comme les autres… Alors que l’avant-projet avait prévu que sa faute était sans influence sur l’indemnisation de son préjudice corporel à moins, comme pour les victimes non conductrices, qu’elle ait été inexcusable et la cause exclusive de l’accident, sa faute inexcusable limite son indemnisation, quand elle n’en a pas été la cause exclusive. On aimerait comprendre les raisons de cette nouvelle discrimination…
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°17 – 24 AVRIL 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck