[LA VIE DES IDÉES]

EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 26 – 25 JUIN 2018 – © LEXISNEXIS SA

LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES

 ACADÉMIE DE LÉGISLATION – CYCLE POLITIQUES ET DROIT 

La politique et le droit des cultes en Algérie (1830-1962)

JEAN VOLFF

Academie de legislation

Pris entre le principe constitutionnel de laïcité et la norme conventionnelle de la liberté religieuse, l’État français peine à intégrer l’islam dans notre société. Pourtant il existe un précédent historique, celui de l’Algérie de la période coloniale.

Après la prise d’Alger en 1830, les autorités françaises durent gérer simultanément trois religions, l’islam et le judaïsme pratiqués par les populations indigènes et le christianisme (avec ses variantes) de retour avec la colonisation européenne. À l’initiative des militaires, longtemps aux commandes, une politique religieuse se mit en place progressivement, avec trois mots d’ordre : contrôler, surveiller, sanctionner.

Dans un premier temps, malgré les réticences du Saint-Siège, il fut décidé d’étendre à l’Algérie le concordat de 1801 et le régime des cultes reconnus instauré en métropole par Napoléon, tout en y apportant les adaptations nécessaires à la situation de la colonie. Ainsi étaient successivement créés l’évêché d’Alger (1838), le consistoire mixte luthérien/réformé d’Alger (1839), les consistoires israélites d’Alger, Oran et Constantine (1847) et instauré progressivement un culte musulman officiel, devenu in fi ne un service public algérien (1881). Avec l’achèvement de la conquête et l’extension de la colonisation, furent encore institués les évêchés d’Oran et de Constantine alors qu’Alger devenait archevêché et que le consistoire protestant de l’Algérie était remplacé par trois consistoires mixtes à Alger, Oran et Constantine (1867).

La loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Églises et de l’État renvoyait son application en Algérie à un règlement d’administration publique. Le pouvoir exécutif allait largement utiliser la plage de liberté qui lui était ainsi offerte. C’est donc un décret du 27 septembre 1907, pris après concertation avec le Gouverneur général, qui étendit la séparation à l’Algérie à compter du 1 er janvier 1908. Parmi divers aménagements, dont l’exigence de la nationalité française pour le président et les membres de la direction de l’association cultuelle, ce texte autorisait le Gouverneur général, à titre exceptionnel et pour une durée de dix ans, à attribuer aux ministres du culte de son choix des indemnités temporaires de fonction fixées à 1 800 francs par an au maximum. L’indemnisation d’un ministre supposait au préalable son agrément et par la suite sa soumission aux prescriptions réglementaires. Il pouvait y être mis fi n par arrêté pris en conseil du gouvernement général. Ainsi les cultes et en particulier le culte musulman, demeurèrent sous le contrôle du Gouverneur général et des préfets.

La loyauté des cinq cultes pendant la première guerre mondiale justifiera la reconduction de ces indemnités de fonction en 1917, 1922, 1932 et enfin définitivement en 1942. Par ailleurs ces indemnités seront régulièrement revalorisées pour tenir compte des dévaluations du franc, le nombre de leurs bénéficiaires augmentera et l’État reprendra le financement de nouveaux lieux de culte.Ainsi, contrairement aux vœux du camp laïc militant, les autorités publiques ont opté pour le pragmatisme et la défense des intérêts coloniaux de la France en Algérie. Elles entendaient conserver, sinon un total contrôle, du moins une réelle influence sur les populations musulmanes, quitte à ménager pour cela les cultes juif et chrétien. À cet effet, elles ont mis en place un régime de séparation bien tempéré, grâce à la souplesse de la loi de 1905 et aux possibilités offertes par le décret de 1907, qu’elles ont maintenu jusqu’à l’indépendance.

L’Académie de législation regroupe avocats, magistrats, universitaires et d’autres juristes afin de contribuer au développement de la science du droit. Elle s’est réunie pour la première fois en mai 1851 à l’instigation d’Osmin Benech, professeur de droit romain qui a également été président du conseil général du Tarn et Garonne et premier adjoint de la ville de Toulouse. Elle s’est placée en 1855 sous le patronage du jurisconsulte Jacques Cujas, né en 1522 à Toulouse. Elle a été reconnue d’utilité publique en 1871. Depuis sa création, l’Académie tient, chaque année, sept séances privées, auxquelles n’assistent que ses seuls membres, et une séance publique.

Site de l’Académie de législation : www.academie-legislation.fr. – Likez la page de l’Académie de législation sur Facebook

 

 

Télécharger l’article au format PDF

.

sjg1826_cv1

 

LA SEMAINE JURIDIQUE ÉDITION GÉNÉRALE

Le magazine scientifique du droit.

Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.

AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

S’abonner