Laurent LEVENEUR, Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II
Fin 2019 un nouveau coronavirus apparaît en Chine. Ce virus, potentiellement mortel, est un tueur d’autant plus dangereux qu’il est invisible, et il est tellement contagieux que l’épidémie se propage dans le reste du monde, dont la France, au premier trimestre 2020. L’activité économique s’en trouve très affectée et lorsqu’on s’intéresse aux contrats, qui sont le vecteur de cette activité, une qualification vient immédiatement à l’esprit : la force majeure. Elle mérite d’être éprouvée à la lumière de la définition qu’en donne aujourd’hui l’article 1218 du Code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Cette définition rassemble les trois caractères classiques de l’événement de force majeure, qui sont autant de conditions de la qualification.
La condition d’extériorité ne paraît poser ici aucune difficulté. Certes il s’agit d’une maladie (v. déjà pour la qualification de force majeure avant même l’article 1218 nouveau, Cass. ass. plén. 14 avr. 2006, n°02-11.168), mais elle correspond bien aux termes utilisés à cet égard par le nouvel article 1218 : on admettra sans mal qu’elle « échappe au contrôle du débiteur », au sens de ce texte ; c’est précisément cette absence de contrôle qui a rendu l’épidémie si grave.
La condition d’imprévisibilité s’apprécie, en matière contractuelle, au moment de la conclusion du contrat. Les circonstances de cette épidémie illustrent parfaitement le bien-fondé de cette condition. Par exemple, si un contrat, prévoyant une date limite d’exécution d’une prestation au 30 mars 2020, a été conclu à l’automne 2019, l’imprévisibilité de l’obstacle que peut représenter l’épidémie est caractérisée. En revanche elle ne l’est pas si le contrat a été conclu vers la mi-mars 2020 : le débiteur de la prestation connaissait alors le risque ; il a estimé pouvoir surmonter l’obstacle qui ne représente pas pour lui une force majeure.
L’irrésistibilité est ici le point le plus délicat. Sans doute est-il arrivé que des débiteurs, tombés malades, ne puissent pour cette raison exécuter leurs obligations : un artisan, fiévreux et alité, ne peut réaliser le travail promis ; un consultant, hospitalisé dans un service de réanimation, ne peut fournir la consultation à laquelle il s’est engagé. Mais c’est loin d’être la majorité des cas pour les centaines de milliers d’entreprises qui ont dû diminuer considérablement ou même arrêter totalement leur activité. Par exemple si les clubs de football professionnel n’ont pu jouer les matches figurant au calendrier du championnat et fournir ainsi aux diffuseurs télévisuels les spectacles sportifs objet de leurs obligations, ce n’est pas parce que tous leurs joueurs auraient été malades ; peut-être quelques-uns l’ont-ils été, mais à n’en pas douter chaque club, aux effectifs importants, aurait tout de même pu aligner une équipe complète. En réalité, ce n’est pas la maladie elle-même qui est l’événement empêchant, dans la plupart des cas, l’exécution des contrats. Ce sont les mesures prises par les autorités de l’État pour lutter contre la propagation de l’épidémie : pour commencer, interdiction de réunir dans un même lieu plus de 1000 personnes, puis plus de 100 personnes, fermeture des établissements d’enseignement, etc. Avant d’arriver au confinement que l’on sait : interdiction de tout regroupement de personnes et en principe de tout déplacement (sauf exceptions) ; interdiction à tout navire de transporter plus de 100 passagers ; interdiction en principe de déplacement des personnes par transport aérien ; interdiction de recevoir du public dans des établissements sportifs, musées, magasins (sauf exceptions) ou centres commerciaux, etc. (v. D.n°2020-293 du 23 mars 2020). Si des contrats précédemment conclus n’ont pu être exécutés comme prévu, dans la plupart des cas c’est en raison de ces décisions prises par les autorités publiques : elles constituent ce que l’on appelle un « fait du prince ». Il s’agit d’une variété de force majeure, qui présente bien les trois caractères classiques de celle-ci, et tout particulièrement ici l’irrésistibilité. Les conséquences, en matière contractuelle, sont en principe -sauf à tenir compte des mesures spécifiques notamment de prorogation de délais (cf. Ord. n° 2020-306 du 25 mars 2020) prévues par des textes propres à cet état d’urgence sanitaire (v. aussi D. n° 2020-378 du 31 mars 2020 relatif au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée)- les mêmes que celles des événements de force majeure : le débiteur empêché d’exécuter son obligation ne peut voir sa responsabilité engagée ; et si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit (art. 1218 al.2), ce qui peut déclencher, le cas échéant, certaines restitutions.
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Voir Contrats conc. consom. 2020, Repère n° 5