LE DROIT SOCIAL DES RESTRUCTURATIONS APRES LE COVID-19

Jusqu’en 2020, l’« effet papillon » était une jolie abstraction, une théorie pour météorologues. Puis il a suffi d’un battement d’aile de chauve-souris dans une contrée asiatique pour que l’économie planétaire se trouve dévastée. La pandémie de covid-19 est devenue l’incarnation tangible de la théorie du chaos. Partout, le confinement et la peur ont dépeuplé l’espace public.

Le droit, au contraire, bouillonne : un flot de nouvelles règles a aussitôt saturé l’espace juridique. C’est un droit d’exception qui a surgi. Selon l’étymologie, l’exception (ex-capere) est ce qui est hors de prise, qui échappe à la règle de principe. Elle prend notamment la forme d’une dérogation en cas d’urgence, de nécessité ou de circonstances exceptionnelles. Selon une tradition juridique séculaire, l’état d’exception  – qui revêt aujourd’hui le masque de l’« état d’urgence sanitaire » – déchaîne un torrent de règles. Pendant que la médecine combat la maladie, la loi, des ordonnances, des décrets et arrêtés, des instructions ministérielles, questions-réponses et autres communiqués officiels, publiés à un rythme fiévreux, tentent de lutter contre la désolation économique et sociale répandue par le coronavirus.

Le droit social est naturellement en première ligne. Après que le législateur eut déclaré l’état d’urgence sanitaire (L. n° 2020-290, 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19), une douzaine d’ordonnances ont réformé des pans divers du droit du travail (activité partielle, durée du travail…) et du droit de la sécurité sociale (congés maladie…), accompagnées d’innombrables textes réglementaires et sources administratives (dont les fameux questions-réponses du ministère du Travail). L’abondance de ces règles dérogatoires a pu donner le vertige à des employeurs – déjà sidérés par l’arrêt brutal de l’économie. Nous en avons dressé un tableau panoramique (P. Morvan, Covid-19 – Synthèses des mesures sociales au 2 avril 2020 : JCP S 2020, n° 14 du 7 avril).

Mais ce droit d’exception n’est qu’un droit temporaire. Il sera bientôt un lointain souvenir. Les entreprises ayant connu un répit éphémère, durant l’état d’urgence sanitaire, doivent engager, dans les mois et années à venir, une lutte de longue haleine pour leur survie. C’est alors un droit pérenne, colossal par l’ampleur de ses règles, qui entre en lices : le droit social des restructurations. Les entreprises ayant subi les affres de la crise doivent désormais procéder à des réorganisations et restructurations, souvent profondes. Des cessions d’activité et transferts d’entreprise sont aussi inéluctables. Toutes ces opérations ne peuvent aboutir sans une information-consultation des représentants du personnel (le CSE) : esquiver le dialogue social peut compromettre grandement le succès d’une restructuration ambitieuse. Des licenciements ou ruptures conventionnelles pour motif économique seront envisagées que des mesures de reclassement et d’accompagnement social devront limiter. Le droit social des entreprises en difficulté sera fortement mobilisé : selon la Coface, les faillites (ouvertures de procédures collectives de redressement ou de liquidation judiciaire, en France) devraient croître de 25 % dans le monde en 2020, soit la plus forte hausse depuis 2009.

Passé l’ouragan covid-19, la survie de l’entreprise et des emplois dépendra, plus que jamais, de l’aptitude des dirigeants et représentants du personnel à s’approprier le droit social des restructurations.

Patrick Morvan – Professeur à l’université Panthéon-Assas

Extrait de P. Morvan, Restructurations en droit social, LexisNexis, 5e édition, sortie le 14 juin 2020

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