La Semaine Juridique Edition Générale n°23
Note
ENTREPRISES
Le port du foulard islamique en entreprise selon la jurisprudence de la Cour de justice
L’interdiction de porter un foulard islamique, lorsqu’elle découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de la directive n° 2000-78 du 27 novembre 2000 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Mais la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition.
SYLVIE HENNION, professeur émérite de l’université de Rennes 1, Institut de l’Ouest : Droit et Europe (UMR CNRS 6262)
CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-157/15, SA, Centrum voor gelijkheid van kansen en voor racismebestrijding c/ G4S Secure Solutions NV : JurisData n° 2017-004234
CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, aff. C-188/15, A. B. et ADDH c/ Micropole SA : JurisData n° 2017-005471
La Cour de justice, en formation de grande chambre, a rendu sur renvoi préjudiciel, le 14 mars 2017, deux arrêts attendus, relatifs aux conditions dans lesquelles un employeur peut limiter le port du foulard islamique dans l’entreprise : l’arrêt S. A., Centrum voor gelijkheid van kansen en voor racismebestrijding contre G4S Secure Solutions NV, ( aff. C-157/15 ) et l’arrêt A. B. et ADDH c/ Micropole SA ( aff. C-188/15 ). Le premier arrêt de la Cour de justice du 14 mars 2017, G4S ( aff. C-157/15 ) fait suite à la demande de décision préjudicielle introduite par la Cour de cassation belge en date du 9 mars 2015. Mme A., de confession musulmane a commencé à travailler comme réceptionniste pour l’entreprise G4S en 2003. Une règle non écrite au sein de l’entreprise prévalait, en vertu de laquelle les travailleurs ne pouvaient pas porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions religieuses. En avril 2006, Mme A. fait connaître que désormais, elle porterait le foulard islamique pendant les horaires de travail. Le 29 mai 2016, le comité d’entreprise a approuvé une modification du règlement intérieur qui stipulait qu’ « il est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle » . Mme A., refusant d’ôter le foulard islamique durant son temps de travail, fut licenciée. La Cour de cassation a été amenée à poser la question suivante : « L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 doit-il être interprété en ce sens que l’interdiction de porter un foulard en tant que musulmane sur le lieu de travail ne constitue pas une discrimination directe lorsque la règle en vigueur chez l’employeur interdit à tous les travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques ou religieuses ? » . Le second arrêt, Micropole SA, fait suite à la question préjudicielle posée par la chambre sociale de la Cour de cassation française dans un arrêt du 9 avril 2015 (Cass. soc., 9 avr. 2015, n° 13-19.855 : JurisData n° 2015-007514. – C. Wolmark, Le foulard islamique dans l’entreprise – La CJUE invitée au débat : Dr. soc. 2015, p. 648. – J. Mouly, Le voile dans l’entreprise, nouveaux rebondissements sous l’angle de la discrimination : D. 2015, p. 1132). Dans cette affaire, une salariée qui travaillait comme ingénieur d’études dans une société d’ingénierie, avait été avertie par son employeur de ne plus porter le voile dans les relations avec la clientèle à la suite d’une demande d’un de ses clients qui avait demandé qu’ « il n’y ait plus de voile la prochaine fois », cette tenue ayant gêné un certain nombre des collaborateurs du client. La salariée, ayant refusé de modifier sa présentation vestimentaire, avait été licenciée. La cour d’appel de Paris ayant confirmé, le 18 avril 2013, le jugement du conseil de prud’hommes du 4 mai 2011 qui avait jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, la salariée avait exercé un pourvoi devant la Cour de cassation. La chambre sociale décida de renvoyer à la Cour de justice la question préjudicielle suivante : « Les dispositions de l’article 4, § 1 de la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent-elles être interprétées en ce sens que constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d’un client d’une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieur d’études, portant un foulard islamique ? ».
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LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°23 – 5 JUIN 2017
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck