EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 11 – 16 MARS 2020
LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS
Coronavirus et assurance
POINTS-CLÉS ➜ Alors que le coronavirus met la France en quarantaine, les juristes s’isolent pour travailler sur le sujet ➜ Pour ce qui est de l’assurance, un retour aux fondamentaux est nécessaire ➜ Les risques liés à l’épidémie sont assurables, mais ils ne sont qu’imparfaitement garantis ➜ Les effets sur l’assurance sont donc relativement faibles, mais nul ne sait jusqu’à quand

Luc Mayaux, professeur à l’université Jean Moulin (Lyon III), directeur de
l’Institut des assurances de Lyon
L’assurance peut-elle atténuer la crise du coronavirus ? Et – revers de la médaille – celle-ci menace-t-elle le secteur de l’assurance ? Il est difficile de se prononcer tant la crise évolue vite. Le droit, qui pour sa part n’évolue pas (ou pas à cette vitesse), apporte quelques éléments de réponse, même si son rôle demeure modeste. Il invite à se rendre aux « limites de l’assurance » (V. la thèse éponyme de P. Vaillier, H. Groutel (dir.) : éd. Tribune de l’assurance, 2001 ), qui sont de deux ordres. Elles tiennent à l’assurabilité du risque (1) et à sa garantie (2) .
- Assurabilité du risque
Il faut ici rappeler que juridiquement sinon financièrement, il n’y a que deux limites à l’assurabilité : l’ordre public (C. civ., art. 6) et l’aléa (teinté de morale) qui s’oppose à l’assurance de certaines fautes : intentionnelle,
voire dolosive (C. assur., art. L. 113- 1). Un risque de grande ampleur, serait-il difficile à assurer sur un plan technique, reste assurable pour le droit (le risque de guerre, qui est certes légalement exclu mais sauf convention contraire C. assur., art. L. 121-8 , ne fait pas exception). S’il plait à un assureur de garantir les conséquences d’une épidémie, il peut donc juridiquement le faire.
Mais, s’il se repent d’avoir pris pareil engagement (l’épidémie devenant avec le temps une pandémie), peut-il revenir sur celui-ci ? Certes, il peut résilier le contrat après sinistre (si une clause le prévoit : C. assur., art. R. 113-10), l’ampleur de celui-ci lui révélant qu’il avait mal apprécié le risque à la souscription. Il peut aussi résilier le contrat à l’échéance annuelle (C. assur., art. L. 113- 12). Mais cela n’aura d’effet que pour l’avenir et non sur le sinistre en cours. Pour celui-ci, il faudra payer la prestation… sauf peut-être à se tourner vers le droit commun des contrats ! On songe d’abord à la force majeure, mais si celle-ci exonère un responsable (V. en matière contractuelle, C. civ., art. 1231-1), ce qui profite indirectement à l’assureur de responsabilité de celui-ci, elle ne libère un débiteur que si elle empêche l’exécution de son obligation (C. civ., art. 1218 ). Mais, s’agissant d’une obligation de somme d’argent comme l’est très généralement celle de l’assureur, on ne voit pas en quoi son exécution serait rendue impossible. L’assureur « direct » (de choses ou de personnes) ne peut donc se réfugier derrière la force majeure pour refuser sa garantie.
Peut-il alors alléguer que l’exécution de son obligation, pour être possible, serait devenue excessivement onéreuse en raison d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ? Ce serait
invoquer la notion d’imprévision désormais admise par le Code civil ( C. civ., art. 1195, réd. Ord. n° 2016-131, art. 2). Mais il n’est pas sûr que ce texte qui, au moins à sa lecture, permettrait une résolution rétroactive du contrat, trouve à s’appliquer (pour la discussion, V. L. Mayaux, Imprévisibilité et assurance : d’un code à l’autre : RGDA févr. 2017, n° 114e5, p. 87 ). D’une part, il s’efface en présence d’une disposition spéciale (C. civ., art. 1105). Or, comme on l’a vu, le Code des assurances ne prévoit de résiliation du contrat d’assurance que pour l’avenir. S’il permet à l’assureur de mettre fin à celui-ci pour aggravation du risque (C. assur., art. L. 113-4), il ne le libère pas de son obligation de règlement en cas d’aggravation du sinistre. Et d’autre part, on peut penser qu’eu égard à la nature même du contrat d’assurance qui est un contrat de couverture de risque, l’assureur est réputé avoir accepté d’assumer le risque d’imprévisibilité au sens de l’article 1195 du Code civil. Cela exclut toute révision ou extinction du contrat pour les sinistres en cours. À défaut, que deviendrait la sécurité attendue de ce contrat par l’assuré ?

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck