EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 15 – 13 AVRIL 2020
Le risque du Far West
POINTS-CLÉS ➜ Où en est notre droit ? La déclaration d’état d’urgence sanitaire a entraîné une profusion de textes ➜ L’émergence d’un droit d’exception d’une part et un arrêt de la justice étatique d’autre part en sont les deux traits marquants ➜ Le droit d’exception est principalement un droit du débiteur, mais il est décousu et disparate ➜ Ceux qui n’en profitent pas risquent de se soustraire au droit pour protéger leurs intérêts ➜ L’État doit accepter de tout englober dans sa législation d’exception
Nicolas Molfessis, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)

Pour le droit, la période actuelle est d’ores et déjà marquée par deux traits majeurs : d’une part, l’émergence et la propagation, à une vitesse fulgurante, d’un droit d’exception, appelé à la rescousse d’une crise dont les manifestations traversent la plupart des secteurs, affectent la vie économique dans toutes ses dimensions et bouleversent les relations sociales ou familiales aussi bien que les libertés individuelles ; d’autre part, la paralysie, presque totale, du fonctionnement de l’institution judiciaire, et donc de la justice. Mis en miroir, ces deux mouvements, l’un de profusion voire d’explosion, l’autre de contraction sinon de disparition, conduisent à favoriser l’avènement de ce qui pourrait ressembler au Far West , cette société dans laquelle les individus se font justice à eux-mêmes – jusqu’à créer des organes pour remédier à la carence de la force publique (les comités de vigilance).
La fermeture de l’institution judiciaire s’est fait sans coup férir, péril imminent oblige. À un premier arrêté du 14 mars dernier, portant diverses mesures de lutte contre la propagation du virus et prévoyant la fermeture des lieux accueillant du public, s’est ajoutée le même jour une circulaire relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie Covid-19 puis, le lendemain, une adresse, par voie de mail, de la ministre de la Justice aux magistrats, ne maintenant le fonctionnement de la justice que pour les « contentieux essentiels ». En matière pénale, l’expression recouvre principalement les audiences correctionnelles pour les mesures de détention provisoire et de contrôle judiciaire, celles de comparution immédiate, les présentations devant le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention et, au-delà, la gestion des urgences (pour les audiences du juge de l’application des peines, celles du tribunal ou du juge pour enfant). Si le service d’assistance éducative est également maintenu, ce n’est que de façon très limitée. Le parquet est lui-aussi invité à réduire et adapter l’action pénale en fonction de critères de pertinence territoriale, de gravité et d’urgence. En matière civile, l’activité se réduit drastiquement pour ne concerner que certains référés, puisque, faute de troupes et de moyens, il a même été décidé de procéder à une sélection en fonction du degré de l’urgence (V. la dépêche sur l’audiencement des référés civils et la conservation des procédures sur requête urgentes publiée le 19 mars 2020 par la DACS et encore l’article 9 de l’ Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 sur le rejet par ordonnance non contradictoire de la demande de référé : JO 26 mars 2020, texte n° 5 ). Il n’en va pas autrement au Conseil d’État, qui a annulé toutes les séances de jugement, là-encore à l’exception des référés.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck