EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 18 – 4 MAI 2020
LA SEMAINE DU DROIT LIBRES PROPOS
POINTS-CLÉS ➜ Alors que nous traversons la plus grave crise sanitaire de l’histoire moderne, il nous appartient collectivement de veiller à ne pas porter une atteinte irréversible à nos libertés fondamentales et individuelles ➜ Tour d’horizon des problématiques liées au projet de traçage des données mobiles dans le cadre de la crise sanitaire
Guillaume Desgens-Pasanau, magistrat, professeur associé au Cnam, ancien directeur juridique de la CNIL

Le confinement subi depuis plusieurs semaines par 67 millions de français est certainement la plus grande opération de contrôle de la population organisée dans notre pays en temps de paix, dans un contexte où la loi organique d’urgence l’ayant instauré ( L. org. n° 2020-365, 30 mars 2020: JO 31 mars 2020, texte n° 2 ; JCP G 2020, act. 458, obs. A. Levade ) a légitimement suscité, sur le plan juridique, des inquiétudes liées à la faiblesse du contrôle juridictionnel et de constitutionnalité qu’il aurait justifié.
Dans le but de cartographier la propagation du virus, identifier les personnes à risque et faire respecter les mesures prises par le Gouvernement pour endiguer sa propagation, de nombreux projets de surveillance des personnes sont désormais à l’étude. Ils reposent principalement sur des techniques de traçage des téléphones portables par géolocalisation ou utilisation de la technologie bluetooth (« contact tracing »).
Des initiatives ont déjà été prises. Orange a par exemple transmis aux pouvoirs publics les analyses issues de sa solution « FluxVision » selon lesquelles 17% des habitants du Grand Paris auraient quitté la région parisienne entre le 13 et le 20 mars. Le projet « StopCovid », piloté par l’INRIA et qui s’intègre dans le cadre du projet de recherche européen Pan-European Privacy-Preserving Proximity Tracing (PEPP-PT.6 https://www.pepp-pt.org/) vise quant à lui à alerter toute personne ayant été en contact avec un porteur du virus grâce à l’historique de ses interactions sociales.
Sans méconnaître l’intérêt possible (mais pas toujours certain) de l’utilisation de ces technologies pour endiguer l’épidémie durant la phase de déconfinement, ces initiatives devront impérativement s’accompagner d’une réflexion attentive sur les enjeux induits en termes de protection de la vie privée.
« Nous sommes en guerre ». – Plutôt que d’invoquer sans cesse l’existence d’une période inédite – justifiant ainsi des réponses extra-ordinaires – nous serions collectivement bien inspirés de prendre le temps d’un regard rétrospectif sur l’évolution des législations de protection des données au cours des 20 dernières années. La « guerre » contre la crise sanitaire succède en réalité à près de 20 années de « guerre » contre le terrorisme engagée depuis les attentats du 11 septembre 2001. Cette volonté de renforcer la sécurité publique s’est traduite en France par un nombre toujours croissant de législations spéciales, venant déroger aux principes fondamentaux du droit commun de la protection des données, lequel a été tout récemment renforcé au niveau européen à l’occasion de la mise en oeuvre du règlement européen général sur la protection des données (RGPD. – PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 2016/679, 27 avr. 2016 : JOUE n° L 119, 4 mai 2016, p. 1. ).

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