Mon professeur

Extrait de la Semaine Juridique Edition Générale

EDITO

Mon professeur

Philippe  Meyer

« Son amour du Liban le rendait presque lyrique. Je dis presque, car il modérait toutes choses en les passant au tamis de la raison et de la clarté. »

JCPGEDitoMonprofesseurDécouvrant le courriel par lequel Nicolas Molfessis me proposait d’écrire dans La Semaine juridique , j’ai vu se pencher sur mon ordinateur le sourire affectueux et moqueur de Pierre Catala. J’ai entendu sa voix affable mais espiègle murmurer, avec cet accent où les modulations rondes et graves du Massif central se mélangeaient au timbre chantant du Languedoc, « au fond, il suffit d’attendre ». Mon cousin Pierre fut en effet le témoin de ma ferme intention de mettre mes pas dans les siens, puis de la noyade de ma vocation de juriste dans la marée montante de la sociologie.
Il n’était mon parent qu’en vertu d’une coutume aveyronnaise qui confère cette qualité à des amis de la famille. Adolescent, si je me vantais de cette parenté de complaisance, ce n’était que l’effet de mon admiration. En répétant qu’il était mon cousin, j’espérais qu’un peu de ses vertus et beaucoup de son aura retomberaient sur moi. Tout le monde n’a pas dans sa famille un garçon qui a dû demander une dispense d’âge au président de la République pour passer l’agrégation de droit à 25 ans et qui comprit le premier quel profit l’exercice du droit tirerait de l’informatique.
Ce n’est pas le lieu de m’étendre sur les qualités d’homme de ce méridional pudique, mais ma jeunesse lui doit force grains d’ellébore et beaucoup de chaleur. Tôt passionné par les affaires publiques, j’ai connu peu de gens dont les informations étaient aussi sûres et qui ne s’en vantait jamais. En septembre 1967, il m’annonça que Maurice Couve de Murville serait le prochain Premier ministre du général. À la faculté, on en rit beaucoup, mais, comme aurait dit ma grand-mère, Pierre savait où le diable fait feu. Son amour du Liban le rendait presque lyrique. Je dis presque, car il modérait toutes choses en les passant au tamis de la raison et de la clarté. Aujourd’hui où sévit l’excès de législation, il mit son point d’honneur, avec le doyen Carbonnier, à présenter une « offre de loi » sur les libéralités dans l’espace exact qui avait été affecté à la matière en 1804. Limpidité, concision.
Et sang-froid : en 1998, dans le tumulte du PACS, il décrivit d’abord le champ de bataille : « En tant qu’il accrédite l’homosexualité, (le PACS) alimente l’hostilité de ceux qui réprouvent les unions atypiques. En tant qu’il conforte les hétérosexuels, (il) nourrit l’inquiétude de ceux qui veulent que le mariage demeure le modèle idéal d’union de l’homme et de la femme.
Ainsi conçu et présenté, le projet coalise, sous le signe de l’équivoque, des partisans et des adversaires qui ne mènent pas le même combat ». Puis il analysa les amphibologies et les obscurités nées de cette confusion, avant de préconiser que l’on reconnût le concubinage « comme une situation de fait génératrice d’effets juridiques, sans discrimination notamment sexuelle ». Quelles que fussent ses opinions, il n’avait de souci que d’examiner ce texte du point de vue des situations de droit qu’il créait et qu’il jugeait, en l’espèce régressives, et discriminantes. Mais qui veut entendre un juriste dans un pays qui « ne se lassera jamais de préférer les projets qui divisent à ceux qui unissent ? »

Télécharger l’article au format PDF

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 42 – 16 OCTOBRE 2017 – © LEXISNEXIS SA

couvJCPG
LA SEMAINE JURIDIQUE EDITION GENERALE

Le magazine scientifique du droit.

Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.

AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

S’abonner