La Semaine Juridique Edition Générale n°27 – 3 Juillet 2017
ÉDITO
Denis Mazeaud
Les parlementaires bénéficient, grâce à leur immunité, d’un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice.
Devant la justice, la réponse à la question est objectivement « non ! ». On se souvient, en ce sens, de la réplique qu’avait adressée, lors du débat télévisé organisé avant le premier tour des élections présidentielles, un « petit » candidat à deux « gros », à peine déstabilisés par sa saillie : je n’ai pas « d’immunité ouvrière ! ». Les parlementaires bénéficient, en effet, grâce à leur immunité d’un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice. Immunité qui s’entend, en premier lieu, d’une irresponsabilité, absolue et perpétuelle, qui exclut toute poursuite judiciaire pour les actes liés à l’exercice de leurs fonctions de parlementaires. Tout juste doivent-ils respecter le règlement de leur Assemblée, ne pas proférer de noms d’oiseaux dans l’hémicycle et ne pas exprimer leur désaccord avec un de leurs distingués collègues sous une forme non appropriée. En second lieu, pour les actes commis en tant que simples citoyens, détachables de leurs fonctions de parlementaires, ils bénéficient d’une inviolabilité qui leur permet d’échapper, pendant la durée de leur mandat, à toute mesure privative de liberté, étant entendu que cette inviolabilité ne peut être levée que si le bureau de l’Assemblée dont ils sont membres l’autorise, ce qui est rarement arrivé sous la V e République. MM. Mitterrand, Dassault et Balkany en ont, tout de même, fait les frais. On relèvera que cette seconde facette de l’immunité, qui n’exclut plus depuis 1995 des sanctions non privatives ou non restrictives de liberté et qui est écartée en cas de crime ou de délit flagrant, est personnelle : les coauteurs et complices du parlementaire peuvent donc être sanctionnés d’une peine privative de liberté, sauf s’ils sont eux-mêmes parlementaires… Pour justifier cette inégalité objective des parlementaires et des simples citoyens devant la justice des hommes, on convoque le principe de la séparation des pouvoirs, on soutient qu’elle n’est pas un privilège personnel du parlementaire mais une garantie d’indépendance et d’intégrité du Parlement dans son ensemble, et qu’elle garantit au parlementaire l’indépendance et la liberté d’expression nécessaires à l’exercice de son mandat. D’autres répliquent que l’immunité, aussi fondée soit-elle sur le plan des grands principes, a un effet pervers : elle accroît la suspicion à l’égard de notre classe politique, alimente le sentiment du « tous pourris » qui gagne du terrain dans nos villes et nos campagnes, et constitue finalement une arme pour les ennemis de la démocratie. Si on s’en tient à la ratio legis de l’immunité, on comprend que l’irresponsabilité dont jouissent les parlementaires, constitue une nécessité pour le bon fonctionnement de notre démocratie. En revanche, on éprouve plus de difficultés à l’admettre pour l’inviolabilité, dont on ne perçoit pas en quoi elle en garantit le respect, pas plus d’ailleurs que l’indépendance et la liberté d’expression des parlementaires eux-mêmes, quand ceux-ci ont commis une infraction qui emporterait une sanction privative de liberté pour le citoyen lambda. L’argument de la démocratie a alors les atours d’un alibi, fragile, pour justifier ce qui a l’odeur et la couleur d’une discrimination. Or, dans ce cas de figure, les parlementaires doivent être des citoyens comme les autres.
La Semaine Juridique – Édition Générale N°27, 3 Juillet 2017
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck