[Portrait] À Bobigny, les juges des enfants, juges de mesures fictives

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 51 – 17 DÉCEMBRE 2018

LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS

À Bobigny, les juges des enfants, juges de mesures fictives

Dans une tribune publiée le 6 novembre dernier, les juges des enfants du tribunal de Bobigny, premier tribunal pour enfants de France, dénoncent « La grande misère de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis ». Un appel au secours (V. JCP G 2018, prat. 1358 3 questions à T. Baranger).

 

portrait vignetteAu Tribunal de Bobigny l’année 2018 s’achève comme elle a débuté : par un cri d’alerte des magistrats. Dans une tribune publiée dans le Monde et relayée sur France Inter, les 15 juges pour enfants ont pris collectivement la plume pour dénoncer « la forte dégradation des dispositifs de protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis ». « Nous sommes actuellement dans l’incapacité de remplir notre mission de service public de protection de l’enfance en danger », constate Sylvie Delumeau-Vaillant, l’une des juges signataires. Cette magistrate chevronnée note une dégradation rapide de la situation. « En 2016, il y avait 6 mois d’attente. Aujourd’hui entre la décision du juge et le suivi effectif de la mesure éducative, il s’écoule 18 mois ». 900 mesures sont ainsi en attente d’exécution. Sans parler des mineurs qui n’ont pas encore été vus par un juge. Et au plan pénal, c’est pire : entre la commission de l’acte, et le jugement il se passe environ 2 ans, « quand le mineur comparaît à l’audience il est souvent majeur, quel est le sens d’une décision prise 2 ans après l’acte ? », s’interroge la juge. « De l’autre côté du périphérique », les juges des enfants dénoncent des délais anormalement longs d’exécution de leurs mesures liés à un manque d’effectifs dans les services d’aide sociale à l’enfance. Une situation explosive qui ne peut pas « être sans conséquence sur la société de demain », s’alarme Sylvie Delumeau-Vaillant.

Dans un département particulièrement exposé à la violence, les juges des enfants, à la fois juges des mineurs en danger et juges des mineurs délinquants, traitent autant de dossiers en assistance éducative qu’au pénal, soit 800 dossiers en cours sur l’année par magistrat. « Les enfants violents sont des enfants en danger dans leur famille », or « le repérage et l’analyse des dangers auxquels (ils) sont confrontés deviennent de plus en plus difficiles ».

Une vraie bombe à retardement. Enrayée à tous les niveaux, la machine conjugue  insuffisance de moyens de l’institution judiciaire et insuffisance des moyens alloués à la protection de l’enfance par le Conseil départemental, lui-même tributaire des dotations de l’État. Personnages clés du système, les éducateurs manquent à l’appel. Conséquence : « Le suivi des mesures prononcées par les juges se délite ». Certains magistrats s’interrogent sur le sens de leur métier. « Nous sommes tous passionnés, extrêmement motivés et investis. Mais nous devenons juges de mesures fictives », affirme Sylvie Delumeau-Vaillant. Le risque, insiste le président du tribunal pour enfants, Thierry Baranger, c’est de « rendre une justice qui n’a plus beaucoup de sens. Cela rend illisible l’institution judiciaire, alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain, s’agissant de ses enfants »…

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