Extrait de la mise à jour « Précis de fiscalité des entreprises 2015-2016 »
884 et s. – Aménagement du régime des sociétés mères.
Le régime des sociétés mères fait l’objet de plusieurs modifications, notamment pour tenir compte des exigences du droit de l’Union européenne et du droit constitutionnel, qu’il s’agisse de la transposition de la clause anti-abus prévue par la directive n° 2015/121 du 27 janvier 2015, de l’insertion d’une clause de sauvegarde en cas de distribution opérée dans un ETNC, ou de l’élargissement de certaines conditions tenant à la propriété des titres de participation.
a) Transposition de la clause anti-abus
La directive n° 2015/121 du 27 janvier 2015 prévoit que « les États membres n’accordent pas les avantages de la présente directive à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la présente directive, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. Un montage peut comprendre plusieurs étapes
ou parties ». Le texte prévoit en outre qu’« un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ». Il est enfin précisé que « la présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires pour prévenir la fraude fiscale ou les abus ». Cette clause, qui concerne tant l’exonération des dividendes distribués à une société mère établie en France que l’exonération de retenue à la source sur les dividendes versés à des sociétés mères européennes (V. infra, 8 n° 896), devait être transposée avant le 31 décembre 2015. On relèvera son caractère contraignant puisqu’il est désormais fait formellement interdiction aux États membres d’accorder le bénéfice du régime mère fille là où la directive se contentait auparavant d’autoriser les États membres à prévoir des mesures anti-abus
À cette fin, à compter du 1er janvier 2016, la loi de finances rectificative pour 2015 transpose, en la reprenant mot pour mot, la clause anti-abus prévue par la directive européenne, d’une part, en ajoutant une nouvelle exclusion du régime des sociétés mères (CGI, art. 145, 6, k) et, d’autre part, en substituant cette nouvelle clause à la clause anti-abus qui était prévue en matière d’exonération de retenue à la source (CGI, art. 119 ter, 3). Ainsi, le bénéfice de ces régimes de faveur est écarté lorsqu’il ressort de l’ensemble des faits et circonstances pertinents qu’a été mis en place un montage non « authentique » dont le but est d’obtenir, à titre d’objectif principal, « un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la directive ». Tel est le cas lorsque le « montage n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ». Si le terme de « montage non authentique » peut de prime abord dérouter, il recouvre en réalité deux situations bien connues du droit français : d’une part, les opérations purement fictives et, d’autre part, les opérations constitutives d’une fraude à la loi qui, contrairement aux objectifs du texte, recherchent artificiellement l’obtention d’un avantage fiscal sans répondre à des justifications économiques réelles. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette clause antiabus ne méconnaît pas l’autorité de la décision du 29 décembre 2013 ayant censuré la substitution, dans l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, du but principalement fiscal au but exclusivement fiscal (V. infra, n° 2178). En effet, cette clause, dont l’objet est distinct des dispositions déclarées non conformes à la Constitution, constitue une simple règle d’assiette, dont le non-respect n’emporte pas application des majorations prévues en cas d’abus de droit. Par suite, n’instituant pas, à la différence de l’abus de droit, une sanction ayant le caractère d’une punition, le principe de légalité des délits et des peines ne lui est pas applicable. Pour le reste, rédigée de façon suffisamment précise, elle ne méconnaît ni le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, ni aucune autre exigence constitutionnelle (Cons. const., 29 déc. 2015, n° 2015-726 DC, consid. 2 à 14).
Reste que, le contenu de la clause anti-abus étant très proche de celui de l’abus de droit, se pose la question de l’articulation de ces deux dispositifs. Même si leurs conditions d’application sont largement communes, il n’en reste pas moins que les deux textes n’ont ni le même objet, ni les mêmes effets, ce qui implique que l’administration fiscale peut retenir concurremment l’un ou l’autre. Ainsi, l’administration peut choisir de procéder à une rectification sur le terrain de la clause anti-abus sans se fonder sur l’article L. 64 du LPF. Inversement, l’administration peut choisir de ne pas faire jouer la clause anti-abus pour se placer sur le terrain de l’article L. 64 du LPF, ce qui l’autorise alors, au terme d’une procédure spéciale, à prononcer une sanction spécifique ; la directive prévoit en effet expressément que « la présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires pour prévenir la fraude fiscale ou les abus ». Dit autrement, l’administration dispose, en fonction du but qu’elle souhaite atteindre, punir ou rectifier, du choix des armes.
b) Distributions effectuées par des filiales établies dans un ETNC
Le régime des sociétés mères est écarté lorsque la filiale est implantée dans un État ou territoire non coopératif (CGI, art. 145, 6, d). Tenant compte de la décision du Conseil constitutionnel ayant jugé le texte constitutionnel, sous réserve que le contribuable puisse renverser la présomption de fraude ainsi posée (Cons. const., 20 janv. 2015, n° 2014-437 QPC : Dr. fisc. 2015, n° 12, comm. 223, note p. Kouraleva-Cazals), le texte dispose, pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2015, que le contribuable peut obtenir le bénéfice du régime de faveur à condition de prouver que la prise de participation dans une société établie dans un ETNC correspond à des opérations réelles qui n’ont ni pour objet, ni pour effet, de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans cet État.
c) Assouplissement de certaines conditions relatives à la propriété des titres de participation
Pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2015, la condition tenant à la propriété de titres de participation est assouplie sur deux points (CGI, art. 145, 1, b).
Là où le texte exigeait que les titres soient détenus en pleine propriété, il admet, pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2015, que les titres détenus en qualité de nu-propriétaire ouvrent droit au bénéfice du régime mère fille ; ce qui, rappelons-le, n’est pas le cas lorsque les titres sont détenus en qualité d’usufruitier.
Un organisme à but non lucratif (V. supra, n° 722) bénéficie du régime mère fille à condition :
– de détenir 2,5 % du capital et 5 % des droits de vote de la société distributrice ;
– de prendre l’engagement de conserver les titres pendant un délai d’au moins cinq ans ;
– que la société distributrice soit contrôlée par un ou plusieurs organismes à but non lucratif.
On relèvera enfin qu’a été transmise au Conseil constitutionnel une QPC portant sur la constitutionnalité de l’absence de prise en compte, pour le calcul du pourcentage de détention de 5 %, des actions d’autocontrôle dépourvues du droit de vote (CE, 8e et 3e ss-sect., 12 nov. 2015, n° 367256, Sté Metro Holding France : Dr. fisc. 2015, n° 49, comm. 717, concl. B. Bohnert).
Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article 145, 6-b ter du CGI (dans sa rédaction applicable à l’époque des faits) excluant du régime mère-fille les produits des titres dépourvus de droit de vote étaient contraires aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques (Cons. const., 3 févr. 2016, n° 2015-520 QPC). En effet, il existe une différence de traitement entre les sociétés bénéficiaires selon que les produits attachés aux titres sans droit de vote sont distribués par une filiale établie en France et dans un Etat tiers (le régime mère-fille est écarté) ou selon que la filiale est établie dans un Etat membre (le régime de faveur n’est pas écarté par la directive du 23 juillet 1990). Or ces sociétés se trouvent dans la même situation au regard de l’objet du régime mère-fille qui est de favoriser l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales. Il s’ensuit que la différence de traitement, qui repose sur la localisation géographique des filiales, 10 est sans rapport avec l’objectif de la mesure. Ainsi le Conseil constitutionnel censure-t-il une forme de discrimination dite « à rebours » où les filiales françaises sont placées dans une situation plus défavorable que les filiales implantées dans un Etat membre.
Reste à savoir ce qu’il en sera de la rédaction actuelle du texte (CGI, art. 145, 6-c), qui exclue du régime mère-fille les produits des titres dépourvus de droit de vote, sauf si la société détient des titres représentant au moins 5 % du capital et des droits de vote de la filiale.