Extrait de la Semaine Juridique Edition Générale
Edito
Au procès Merah, la matrice de la haine
« Si cette audience a une vertu, elle est de nous placer au coeur de la fabrique de la haine (…). »
De l’un de ses deux petits-enfants de 5 et 3 ans assassinés avec leur père par Mohammed Merah, ce matin de mars 2012 devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse, Samuel Sandler a dit : « Gabriel, en sortant de la maison, avait encore la tétine à la bouche ». Puis il a demandé : « Comment on assassine un enfant avec une tétine ? ».
Lorsque le procès des attentats de Toulouse et Montauban s’est ouvert devant la cour d’assises spéciale de Paris, en l’absence de leur auteur principal
tué dans l’assaut du RAID, on pouvait craindre que cette question restât sans réponse. Cinq semaines plus tard, et quel que soit le sort judiciaire que la cour réservera à Abdelkader Merah, accusé d’association de malfaiteurs en vue d’actes terroristes et de complicité des attentats commis par son frère Mohammed, cette crainte-là est dissipée. Si cette audience a une vertu, elle est de nous placer au coeur de la fabrique de la haine qui a conduit un homme de 24 ans à abattre de sang-froid des militaires choisis pour leur appartenance musulmane et des enfants visés parce qu’ils étaient juifs.
D’une voix calme, comme on énonce une évidence, Abdelakder Merah a dit : « Notre monde et le vôtre sont tellement différents … ». Le monde des Merah, c’est le quartier des Izards au nord-est de Toulouse où la fratrie a grandi. Le carrossier qui a un temps embauché le jeune Mohammed l’a décrit comme « un zoo sans cage ». « Des jeunes, comme lui, qui avaient la rage, il y en avait plein », a-t-il ajouté.
« Au quartier », on s’est par exemple beaucoup réjoui des attentats de septembre 2001. Mohammed Merah avait 13 ans. En hommage à Ben Laden, les deux frères aimaient à se surnommer « Grand Ben Ben » et « Petit Ben Ben ». Au quartier, on détestait les Américains tout en portant des Nike aux pieds. « Il faut venir au quartier pour comprendre » a dit encore Abdelkader Merah.
« Au quartier », nulle voix ne s’est levée pour les contredire. Au contraire. Les émirs qui murmuraient à leurs oreilles soufflaient sur cette haine dont ils avaient besoin pour leurs desseins. Le business du quartier s’en nourrissait qui fournissait sans se poser de questions les armes ou le gilet pare-balle qu’on leur demandait.
Mais plus encore que dans son quartier, ou dans les prêches des émirs, c’est dans sa propre famille que Mohammed Merah a puisé la rage qui l’animait. Dans la violence d’un père, dans celle de ses frères et surtout dans le ressentiment d’une mère. Contre les « Français qui avaient tout », contre les juifs simplement parce qu’ils l’étaient, contre l’État qui ne voulait pas qu’elle porte le voile, contre l’école dont elle a voulu déscolariser ses filles et où échouaient ses fils, contre les institutions qui les plaçaient en foyer ou les condamnaient.
À entendre les témoignages des autres membres de la fratrie Merah, à la voir elle à la barre, s’exprimant dans un français approximatif, figée dans un déni obtus, on se demandait si cette femme qui a quitté l’Algérie en 1981 et qui proclamait au lendemain des attentats que son fils avait « mis la France à genoux », a un jour offert aux siens autre chose que la matrice d’une haine qui réclamait tacitement vengeance.
Pascale Robert-Diard
© LEXISNEXIS SA – LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 44-45 – 30 OCTOBRE 2017
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