
Loïc Cadiet, professeur à l’université Paris-I, a présidé la mission sur l’open
data des décisions de Justice, qui a remis son rapport le 9 janvier 2017 à la
Garde des Sceaux.P
Pourquoi une mission sur l’open data des décisions de justice ?
La mission avait pour tâche d’étudier et de préfigurer les dispositions règlementaires d’application des articles 20 et 21 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite loi Lemaire.
Aux termes de ces articles, les décisions rendues par les juridictions doivent être mises à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées, cette mise à disposition du public devant être précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes. La loi renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des conditions d’application de ses dispositions. C’est pour éclairer et préparer l’élaboration de ce décret que la Mission a été installée.
Pour l’essentiel, le rapport issu des travaux de la mission est construit autour de trois axes. La première partie est ainsi consacrée aux finalités, aux enjeux et aux risques de la mise à disposition du public des décisions de justice. La deuxième partie s’attache aux conditions de l’ouverture au public des décisions de justice, tant au regard du droit français que du droit européen. La troisième traite enfin de la définition des modalités de l’ouverture au public des décisions de justice.
Dans ces trois registres, la mission formule vingt recommandations. Il faut cependant observer, en le regrettant, que près d’un an après l’achèvement des travaux de la Mission, le décret attendu n’a toujours pas été publié.
Quels bénéfices les juristes pourront-ils tirer de l’open data des décisions de justice ?
Des bénéfices quantitatifs et qualitatifs. Sur la base des données disponibles pour 2016, la mise à disposition du public passerait, s’agissant de l’ordre judiciaire, de 13 360 à 3 877 819 décisions, et s’agissant de l’ordre administratif, de 19 761 à 129 600 décisions, sous réserve du périmètre de décisions effectivement mises à disposition.
Les bénéfices attendus de l’ouverture des décisions de justice seront plus
importants pour les professionnels du droit et les professionnels de la réutilisation des données que pour le simple justiciable. Le rapport sur l’open data des décisions de justice distingue d’ailleurs l’objectif de diffusion du droit par l’internet et celui, plus large, d’open data des décisions de justice.
D’un point de vue qualitatif, la mise à disposition du public des décisions de justice doit permettre de mieux connaître la justice et de favoriser l’accès au droit. L’open data des décisions de justice ouvre aux juristes des perspectives d’étude de l’activité des juridictions jusqu’alors inexistantes.
L’accès massif aux décisions rendues permettra en effet d’analyser et de mieux documenter des tendances jurisprudentielles et des pratiques juridictionnelles. Cette évolution est de nature à influer sur la culture des acteurs.
Par ailleurs, certaines des tâches aujourd’hui réalisées par ces professionnels donneront lieu à une assistance croissante, voire à une automatisation, sinon une robotisation, par les nouveaux outils numériques. Les professions seront ainsi conduites à repenser l’organisation d’une partie de leur activité.
Quel est l’enjeu futur de l’utilisation des données pour le professionnel ?
La réponse à cette question ne peut se faire sans référence aux potentialités de l’intelligence artificielle. Ces dernières contribueront à faire évoluer l’activité des professionnels du droit vers davantage de complémentarité entre le praticien et la machine.
L’activité des praticiens serait alors recentrée vers les activités les plus complexes, impossibles à automatiser, et vers la dimension humaine de leur profession si cette technicisation de l’activité juridique n’en affecte pas définitivement l’existence.
La formation des professions du droit à la compréhension et à l’utilisation des nouveaux outils apparaît comme un enjeu majeur des évolutions suscitées par l’ouverture massive des décisions de justice. Elle doit leur permettre de tirer du numérique tous les bénéfices à venir et d’en connaître les limites, alors que l’usage des nouveaux outils ne saurait remplacer le travail de raisonnement juridique et l’apport de l’humanité inhérente à l’acte de juger.
Quel est le rôle des acteurs de la legaltech et, notamment, des éditeurs ?
L’open data des décisions de justice ouvre de nouvelles perspectives d’activité pour les acteurs du marché du droit.
Les données ainsi ouvertes constituent, pour les entreprises opérant dans le domaine, une opportunité de développement de nouveaux services. Au demeurant, ce développement économique ne s’opérera toutefois pas nécessairement dans la continuité actuelle des équilibres du marché.
L’augmentation de la masse de données en open data devrait en effet stimuler l’activité de nouvelles entreprises de la legaltech, ces start-ups du domaine juridique qui développent leur activité à partir de l’exploitation des données juridiques.
Avec la mise à disposition du public des décisions de justice, les opérateurs historiques de la diffusion du droit, que sont les éditeurs juridiques, devront certainement trouver de nouvelles sources de création de valeur économique et diversifier les services qu’ils proposent en s’appuyant sur l’extraordinaire expérience qu’ils ont acquise.
LexisNexis oeuvre déjà en ce sens avec JurisData Analytics. Ils ont pour eux la légitimité que confère leur très longue expérience experte ainsi que leur régulation au sein du Syndicat national de l’édition.
Leur souhait d’être reconnus comme des tiers de confiance dans l’organisation en cours de l’open data des décisions de justice n’est donc pas injustifiée.
Pour découvrir le livre blanc dans son intégralité : https://go.lexisnexis.fr/lb_Open_dataetJurisprudence