Question de foi

EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 1-2 – 8 JANVIER 2018 – © LEXISNEXIS SA

Question de foi

« J’ai comme toujours regardé les jurés et je me suis demandé ce qu’ils pouvaient penser de ce débat dont ils étaient exclus. »

Edito-JCPG-question-foiFaut-il ajouter au décompte des morts de l’année 2017, la « foi du palais » ? La question s’est posée fin décembre lors du procès du maire de Draveil, Georges Tron, qui comparaissait avec son ex-adjointe à la culture devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis à Bobigny, pour viols et agressions sexuelles. L’épisode a fait grand bruit : au troisième jour d’audience, l’avocat de Georges Tron, Me Éric Dupond-Moretti a demandé – et obtenu – le renvoi du procès en s’appuyant sur des confi dences que le président de la cour Régis de Jorna avait livrées le matin même dans son bureau à l’ensemble des parties. Dans cette conversation informelle, le président s’était ouvert de ses états d’âme à propos de cette affaire et du climat singulier dans lequel elle était jugée. La révélation publique de propos destinés à rester privés a aussitôt suscité la réaction outrée des avocats des parties civiles, rejoints par plusieurs de leurs confrères dénonçant une insupportable violation de la « foi du palais. » J’avoue ne pas partager leur indignation. À l’audience, pendant que les uns et les autres tempêtaient et s’échangeaient des noms d’oiseaux, j’ai comme toujours regardé les jurés et je me suis demandé ce qu’ils pouvaient penser de ce débat dont ils étaient exclus. À ces femmes et ces hommes désignés par le tirage au sort, on avait solennellement fait jurer, trois jours plus tôt de « ne communiquer avec personne » et de « conserver le secret des délibérations, même après la cessation de [leurs] fonctions » . Et voilà qu’ils découvraient cette règle non écrite, selon laquelle les professionnels de la justice s’autorisaient à échanger entre eux dans le huis clos du bureau du président. N’ont-ils pas pu avoir le sentiment d’une partie truquée ? Toutes proportions gardées, c’est un peu comme lorsque, après avoir assisté à des débats houleux dans l’Hémicycle, les citoyens électeurs aperçoivent leurs représentants trinquer ensemble à la buvette de l’Assemblée.
En tant que justiciable, je me suis posée une autre question. Que penserais-je de mon avocat si j’apprenais qu’il a fait prévaloir « la foi du palais » sur les intérêts de ma défense ? Si, comme on peut l’imaginer, Georges Tron et sa co-accusée appréhendaient d’inaugurer le premier procès de l’ère post Weinstein, leurs avocats devaient-ils laisser passer l’opportunité qui leur était offerte par les confidences du président d’obtenir le renvoi de l’audience ?

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LA SEMAINE JURIDIQUE EDITION GENERALE

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AUTEUR(S) : 

N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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