Rapporteur public

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°29-34

ELISABETH BARADUC, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, membre du Club des juristes

… enfin euro-compatible

La décision Marc-Antoine rendue le 4 juin 2013 par la Cour de Strasbourg ( CEDH, 4 juin 2013, n° 54984/09 : JCP G 2013, act. 778, obs. L. Milano ) est le dernier épisode d’une série qui a tenu en haleine tous les acteurs du procès administratif et entretenu un suspense qui n’a rien à envier aux meilleures productions du PAF !

Inaugurée par le célèbre arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd du 31 mars 1998 à propos de l’avocat général à la Cour de cassation, adaptée à la juridiction administrative par les décisions Kress, Loyen, Flament et Martinie , la saga contentieuse trouve son épilogue dans une décision rendue à l’unanimité et qui, pour être d’irrecevabilité, n’en consacre pas moins déf nitivement la place singulière qu’occupe le rapporteur public dans le procès administratif.

On n’osait l’espérer : est jugé « manifestement mal fondé » le grief tiré de la communication au seul rapporteur public du projet de décision élaboré par le rapporteur, évidemment couvert par le secret parce qu’indissociable du délibéré. À l’unanimité, la requête est déclarée irrecevable.

S’affranchissant de la tyrannie des apparences qui l’avait conduite à considérer qu’« en s’exprimant publiquement sur le rejet ou l’acceptation des moyens présentés par l’une des parties, le commissaire du gouvernement pourrait être légitimement considéré par les parties comme prenant fait et cause pour l’une d’entre elles » ( CEDH, 7 juin 2001, n° 39595/98, Kress, pt 81 ), la Cour a pris l’exacte mesure de ce rouage essentiel dans l’organisation du procès administratif qu’est le rapporteur public.

Son statut et son rôle sont analysés de façon percutante dans la décision.

Quant à son statut, la Cour constate que ce « juge qui parle » n’en reste pas moins un juge, au même titre que ses collègues qui siègent dans les formations de jugement et qu’il rejoindra une fois écoulée la période durant laquelle il occupe le pupitre. Ce statut singulier, défi ni par les décisions Gervaise et Esclatine et consacré par l’article L 7 du Code de justice administrative, est revêtu du brevet de conventionnalité.

Placé hors du jeu des échanges entre les parties, le rapporteur public porte sur le dossier, après le travail du rapporteur, un second regard : loin de mettre en péril le principe de l’égalité des armes ou la garantie de l’équité du procès, ces regards croisés sur un même litige sont un gage de la qualité de la décision à intervenir.

Le rôle déterminant du rapporteur public est ainsi décrit : il participe à la transparence du processus d’élaboration de la décision en ce qu’il donne à voir aux parties « les éléments décisifs du dossier et la lecture qu’en fait la juridiction ». Ses conclusions ouvrent, pour le justiciable et son conseil, une fenêtre sur le travail d’instruction réalisé en amont par la juridiction.

Car, si le rapporteur public éclaire les membres de la formation de jugement sur les enjeux du litige et sur la solution qui lui paraît souhaitable, il s’adresse aussi aux parties. Cette « mise en état » à l’audience offre à celles-ci la possibilité de s’assurer que tous leurs arguments – mais eux seuls – seront pris en considération par la formation de jugement et ils sont ainsi mis à même de réagir avant que la décision ne soit prise.

Autre aspect du rôle du rapporteur public, fondamental pour ceux qui viennent à la barre de la juridiction essentiellement pour l’entendre : parce qu’il fait connaître publiquement l’état de la jurisprudence et l’évolution prévisible ou espérée de celle-ci, il favorise ainsi l’accès au droit et nourrit la réflexion du justiciable et de son conseil.

Nombreux sont les revirements consacrés par la Haute juridiction après avoir été proposés par les rapporteurs publics.

Enfin, et alors même que d’importants efforts ont été accomplis pour rendre les arrêts plus pédagogiques et plus lisibles, l’intelligibilité de la décision est facilitée par les conclusions qui en
éclairent le sens et la portée.

Mais ne regrettons pas ces turbulences : depuis 2000, des ré- formes règlementaires successives ont institutionnalisé un dialogue entre le rapporteur public et les parties ou leur conseil : il est possible d’obtenir préalablement à leur prononcé le sens des conclusions, les parties sont invitées à prendre la parole après le rapporteur public, ce qui instille un peu d’oralité dans une procédure essentiellement écrite, une note en délibéré pour lui répondre peut être déposée. Ces ajustements ont rapproché les justiciables de leur juge

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 29-34 – 15 JUILLET 2013

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