La Semaine Juridique Edition Générale n°21, 22 Mai 2017
LA SEMAINE DU DROIT AFFAIRES
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CONTREDIT
La recevabilité du contredit devant la cour d’appel non spécialisée
Martine Behar-Touchais, professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), codirectrice de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne (IRJS-André Tunc)
Cass. com., 26 avr. 2017, n° 15-26.780, P+B+I : JurisData n° 2017-007741
Par deux arrêts du 29 mars 2017 ( Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-17.659, 15-24.241 : JurisData n° 2017-005681, 2017-005680 ; JCP G 2017, 498, note M. Behar-Touchais ), la Cour de cassation a opéré un revirement remarqué quant au sort du recours devant une cour d’appel non spécialisée, à l’encontre d’un jugement d’un juge non spécialisé appliquant l’article L. 442-6 du Code de commerce. Alors qu’un tel recours était jusqu’alors irrecevable, elle a décidé qu’il était recevable et que la cour d’appel non spécialisée devait sanctionner d’office l’excès de pouvoir du premier juge (cf. notre note, « Un revirement au service de l’efficacité de la spécialisation des juridictions » : JCP G 2017 préc. ). Par souci d’effectivité de l’exigence de spécialisation des juridictions, ce revirement permet que ne soit pas maintenu un jugement rendu par un juge non spécialisé. Dans ces deux arrêts, le recours intenté était un appel. Par un nouvel arrêt du 26 avril 2017, dont l’importance découle des lettres « P+B+I » qui lui ont été attribuées, la Cour de cassation montre que la portée de sa nouvelle jurisprudence est générale et que la recevabilité du recours s’applique aussi au contredit (depuis lors supprimé). Dans cette affaire, le tribunal de commerce de Pontoise, désigné par une clause attributive de juridiction, avait été saisi d’une demande d’indemnisation pour rupture fautive et brutale de relations commerciales, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil et L. 442-6, I, 5 du Code de commerce. Il s’était déclaré incompétent mais un contredit a été formé devant la cour d’appel de Versailles, juridiction elle-même non spécialisée. Conformément à la jurisprudence ancienne, ladite cour avait déclaré le contredit irrecevable, rappelant son défaut de pouvoir de juger sur le fondement de l’article D. 442-3 du Code de commerce. Mais son arrêt est cassé, car elle aurait dû déclarer le contredit recevable, puisque formé contre une décision rendue par une juridiction non spécialisée située dans son ressort cf. COJ, art. R. 311-3 ), et elle aurait dû « constater le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Pontoise pour statuer sur les demandes fondées sur l’article L. 442-6 du Code de commerce ». La solution ne surprend pas. D’une part, s’agissant de la clause attributive de juridiction, la Cour de cassation avait déjà décidé qu’elle ne permettait pas de déroger à la spécialisation des juridictions ( Cass. com., 1 er mars
2017, n° 15-22.675, P+B+I : JurisData n° 2017-003313 ). D’autre part et surtout, la motivation des arrêts de revirement du 29 mars 2017 était très générale. Ils admettaient la recevabilité des « recours » contre la décision d’un premier juge non spécialisé. Même si dans ces deux affaires, il s’agissait d’un appel, on pouvait s’attendre à ce que ce soit étendu au contredit. La question qui aurait pu néanmoins se poser était celle de la recevabilité d’un contredit pour soulever, non pas une exception d’incompétence, mais un défaut de pouvoir juridictionnel du premier juge, qui se traduit par une fin de non-recevoir ( Cass. com., 20 oct. 2015, n° 14-15.851, P+B : JurisData n° 2015-023448 ). Or, dans une autre hypothèse de fin de non-recevoir, la Cour de cassation a écarté le contredit. Il s’agit de l’article 47 du Code de procédure civile en vertu duquel quand un magistrat ou un auxiliaire de justice partie à un litige, qui devrait être soumis à une juridiction dans le ressort de laquelle il exerce ses fonctions, peut demander le renvoi devant une juridiction située dans un ressort limitrophe, ce qui a été analysé par certains comme un privilège de juridiction ( D. Cholet, L’article 47 du Code de procédure civile, privilège ou exception ?, note ss Cass. 2 e civ., 26 juin 2014, n° 13-20.396 : JCP G 2014, 985. – P. Roussel-Galle, Quand le privilège de juridiction devient un super privilège : Rev. proc. coll. 2013, étude 7 ). Or, la Cour de cassation a jugé que cette demande n’est pas une exception d’incompétence, et ne peut être frappée que d’un appel et non d’un contredit ( Cass. 2 e civ., 15 févr. 1995, n° 93-14.317 : JurisData n° 1995- 000336. – Cass. 2 e civ., 26 juin 2014, n° 13-20.936. – Cass. 2 e civ., 15 oct. 2015, n° 14-22.236 : JurisData n° 2015-022728 ). Quoi qu’il en soit en l’espèce, si le contredit avait été jugé irrecevable, parce que c’est un appel qui aurait dû être intenté, le bénéfice du revirement du 29 mars 2017 aurait été en partie perdu. Mais, ce n’est pas le cas en l’espèce, car la Cour juge le contredit recevable, et considère que la cour d’appel devra constater le défaut de pouvoir juridictionnel du juge spécialisé. Outre qu’elle est en faveur de l’effectivité de la spécialisation des juridictions, cette décision va également dans le sens de la volonté de la Cour de cassation exprimée dans son rapport pour 2014, que la spécificité du contredit soit abandonnée de lege ferenda , pour lui substituer un appel immédiat (Cf. rapport en ligne sur le site de la Cour de cassation). Au demeurant, le décret du 6 mai 2017 vient de consacrer cette proposition en supprimant le contredit ( D. n° 2017-891, 6 mai 2017, art. 1, 3° : JO 10 mai 2017, texte n° 113 ).
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°21 – 22 MAI 2017
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck