Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°44-45
HARITINI MATSOPOULOU, professeur de droit privé à la faculté Jean Monnet de l’Université
Paris-Sud 11, directrice de l’Institut d’études judiciaires, expert au Club des juristes
La nouvelle peine de « contrainte pénale » est-elle nécessaire ?
Parmi les réserves que la réforme pénale a suscitées, figurent celles concernant la création d’une nouvelle peine dont la dénomination finalement retenue est la « contrainte pénale ». L’institution de cette peine a pour fondement essentiel une recommandation du Conseil de l’Europe du 29 novembre 2000 ayant pour objectif le développement des peines non privatives de liberté et l’instauration d’une nouvelle peine de « probation en tant que sanction indépendante imposée sans que soit prononcée une peine d’emprisonnement ». Le jury de consensus a fait, pour sa part, sienne cette recommandation en préconisant que la mise en place d’une peine de ce type devrait « être perçue par tous comme une vraie peine, avec des éléments de contrainte et de contrôle ainsi que des fonctions de réparation et de réinsertion ».
Sans aucun doute, ces recommandations, auxquelles il faut ajouter celle du 20 janvier 2010 CM/Rec (2010)1 du Comité des ministres aux États membres sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, ont servi de guide aux initiateurs de la réforme pénale qui ont ainsi suggéré l’introduction
de la « contrainte pénale » dans notre arsenal répressif. Il s’agirait d’une « peine indépendante » pouvant être prononcée par la juridiction de jugement lorsque l’infraction commise serait un délit puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans et que la personnalité de son auteur, ainsi que les circonstances de la commission des faits, justifieraient « un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé ». Cette peine, qui serait exécutée en milieu ouvert, pourrait donc être retenue au lieu et place des courtes peines d’emprisonnement. En particulier, elle consisterait dans l’obligation pour la personne condamnée d’être soumise, pendant une durée comprise entre
six mois et cinq ans, à des mesures d’assistance, de contrôle et de suivi adaptées à sa personnalité.
Toutefois, il est permis de se demander si la création de cette nouvelle peine est vraiment nécessaire. Même si les finalités poursuivies sont « nobles », on a du mal à voir comment la nouvelle
peine de « contrainte pénale » pourrait trouver ses marques par rapport au sursis avec mise à l’épreuve. Telle que défi nie, elle se distingue difficilement, par son contenu, de ce dernier puisque
le condamné à une telle peine pourrait se voir appliquer l’une des interdictions et obligations prévues par les 4° à 14° de l’article 132-45 du Code pénal relatives audit sursis. Les mesures contraignantes infligées ont pour vocation, dans les deux hypothèses, à contribuer à l’ « insertion » ou au « reclassement social » de la personne condamnée. En outre, en cas de violation, par cette dernière, des obligations et interdictions imposées, ou de nouvelle condamnation pour crime ou délit, la peine d’emprisonnement pourrait être prononcée, comme dans l’hypothèse de la révocation
du sursis avec mise à l’épreuve. Il en résulte donc que le prononcé d’une peine privative de liberté n’est pas exclu !
À notre avis, si l’idée d’instituer la nouvelle peine de contrainte pénale devait être maintenue, il faudrait sérieusement s’interroger sur l’utilité de conserver le sursis avec mise à l’épreuve.
La question de l’articulation entre ce dernier et la nouvelle peine mériterait de faire l’objet d’une réflexion approfondie. De même, s’agissant des personnes susceptibles de se voir appliquer
la « contrainte pénale », la notion d’ « accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé », qui servirait de fondement au prononcé de cette peine, devrait être davantage explicitée, de sorte que le champ d’application de la nouvelle peine soit clairement défini.
Par ailleurs, des réserves peuvent être formulées quant aux nouveaux pouvoirs attribués au JAP. En particulier, en cas d’inobservation par le condamné des obligations imposées, le JAP pourrait « saisir un juge délégué afin qu’il ordonne l’incarcération ! ». Le dispositif proposé, qui permet en réalité d’empiéter sur les pouvoirs de la juridiction de jugement, mériterait d’être entièrement revu.
Enfin, la mise en œuvre de la contrainte pénale nécessiterait une augmentation très significative du nombre des postes de travailleurs sociaux figurant dans les SPIP, afin que les objectifs
poursuivis puissent réellement aboutir.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 44-45 – 28 OCTOBRE 2013