EXTRAIT DE LA REVUE PROCÉDURES – N° 6 – JUIN 2019
La réforme Belloubet ou le jeu de dés
Loïc CADIET, professeur à l’école de droit de la Sorbonne (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Moins de trois ans après la réforme Taubira présentée comme LA réforme pour la justice du XXIe siècle, la machine à réformer, rebranchée l’an passé (V. Procédures 2018, repère 3), vient d’accoucher d’une nouvelle réforme, la réforme Belloubet, présentée comme la réforme d’une ère nouvelle. Le XXIe siècle n’aura pas duré longtemps…
Les textes fondateurs de ce nouvel épisode réformateur, dont certains s’affligent quand d’autres s’en félicitent, ont en tout cas passé avec succès, sous quelques réserves, minimes, le test de constitutionnalité, qui ne ferme cependant pas la porte à de futures questions prioritaires de constitutionnalité sur les points ayant échappé au contrôle du Conseil constitutionnel. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et la loi organique n° 2019-221 du 23 mars 2019 relative au renforcement de l’organisation des juridictions ont été publiés au Journal officiel du 24 mars 2019. Ce numéro de Procédures est consacré à la présentation des nouvelles dispositions.
À dire vrai, cette nouvelle réforme et la précédente n’en font qu’une pour l’essentiel. Il s’agit de transformer l’essai, ce qui est particulièrement notable avec la suppression du tribunal d’instance comme juridiction autonome de première instance, en insérant cependant cette nouvelle loi dans une programmation financière destinée à lui donner les moyens de ses objectifs et en intégrant dans le dispositif de la réforme un important volet technologique dont était dépourvue la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. C’est la même ambition ; les mêmes tendances s’y retrouvent, arbitrairement ramassées en une poignée de mots, en une poignée de dé(s), dans les lignes qui suivent, pour le seul contentieux civil.
Défragmentation, de l’organisation judiciaire, envisagée depuis plusieurs dizaines d’années, avec le regroupement des juridictions de première instance au sein d’une juridiction unique. Après la suppression des juridictions de la sécurité sociale et le transfert de leur contentieux au pôle social du tribunal de grande instance, c’est la suppression du tribunal d’instance et le transfert de son contentieux au tribunal de grande instance, rebaptisé tribunal judiciaire, qui accueillera désormais en son sein un juge des contentieux de la protection recueillant la majeure partie du contentieux dévolu au tribunal d’instance.
Déjudiciarisation, encore et toujours, pour recentrer le juge sur son office, pour redonner aux parties le pouvoir sur la solution de leur litige, pour alléger le budget de la justice ? Il y a un peu de tout cela dans les motifs troubles de la déjudiciarisation, dont les manifestations sont d’une grande diversité : ponctuelles avec l’extension de la vente à l’amiable de l’immeuble saisi, la contractualisation, la séparation de corps, le transfert au notaire de l’établissement des actes de notoriété ou du recueil du consentement à une procréation médicale assistée, la suppression de l’homologation systématique de la convention de changement de régime matrimonial en présence d’enfants mineurs ; plus systémique avec l’évolution de la prise en charge des majeurs protégés et le renforcement de la résolution amiable des conflits, y compris en matière de divorce et de séparation de corps.

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AUTEUR(S) : Hervé Croze, Loïc Cadiet