EXTRAIT DE LA REVUE DROIT DE LA FAMILLE – N° 2 – FÉVRIER 2019
Les pères ont-ils un avenir ?
Bernard BEIGNIER, professeur à l’université de Rennes 1, IODE-CRJO (UMR 6262)

Un juriste, surtout s’intéressant au droit de la famille, ne peut, ne doit, pas lire uniquement que du droit : méfions-nous du « droit pur ». C’est amer comme l’absinthe. Le droit a besoin, lui aussi, d’eau pure.
S’il est une lecture très recommandable, c’est bien celle du livre du psychanalyste, Jean-Pierre Winter, L’avenir des pères, (Albin Michel, 240 p.) qui vient de paraître. Qu’il me soit permis de faire état d’une petite expérience personnelle, même très réduite : je connais une école où plus de 75 %des enfants ne connaissent pas leur père. Ne nions pas un fait ; gardons-nous d’extrapoler à l’infini dessus. Mais ce fait existe : il aurait été, en France du moins, impossible voici un quart de siècle.
Les criminologues font un autre constat : un nombre considérable de jeunes délinquants connaissent une telle situation. La très grande majorité a connu une famille déchirée ou inexistante.
Pourtant, et notre revue en témoigne régulièrement, jamais il n’a été aussi facile, scientifiquement donc juridiquement, de connaître son père. Un cheveu y suffit… Une exception, mais de taille : l’insémination artificielle avec donneur. Pour combien de temps ? Déjà les premiers enfants nés de cette manière, devenus adultes, réclament à connaître leur père qu’ils ne veulent pas réduire à une « banque de semence ». Ne doutons pas un instant de la solution qui leur sera, un jour prochain ou lointain, accordée : ils auront ce droit.
Celui qui a « donné » la vie n’a pas fait que donner son sperme. Peut-on l’assimiler à un donneur de sang ? Le sang, juridiquement, est un « produit » du corps humain : le sperme est la semence de la vie. Le donneur est un père.
Au demeurant on va aussi avoir la recherche inverse : le père recherchant ses enfants. Ainsi Jean-Pierre Winter apporte une réflexion, fondée sur l’observation clinique, sur les conséquences potentielles de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes. Le père sera juridiquement complètement éliminé tout en existant réellement. L’auteur pose une question ouvrant une ample réflexion : « Que dira une telle loi ? Qu’un père, c’est facultatif. »
Mais un juriste ajoutera : le droit peut-il nier la réalité ? Ne doit-il, au contraire, pas se fonder sur elle ? Que l’on se souvienne de ce qu’il faut bien dénommer « l’ancien droit », celui d’avant les années 1980. Que reprochait-on à la loi civile sur la filiation ? De se fonder sur des présomptions, plus ou moins fortes et d’autant plus contestables, qui niaient la « biologie » ? C’est pour imposer cette réalité de la biologie que tout ce « vieux droit » (remontant souvent au XIXe siècle) fut évacué pour que filiation concorde avec réalité biologique. Va-t-on connaître un droit inversé qui niera cette même biologie ?

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