Sain viatique pour futurs magistrats

 Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°37

« Au-delà de l’âpreté, parfois de la violence du débat judiciaire, l’avocat n’est pas l’adversaire du magistrat mais un partenaire. »

Sain viatique pour futurs magistrats

Ils sont 366, soit la promotion de l’École nationale de la magistrature la plus importante depuis 1958. En les accueillant à Bordeaux, lundi 29 août, alors qu’ils rentraient tout juste de leur stage en cabinet d’avocats, c’est par un hommage à cette profession que le nouveau directeur de l’École, Olivier Leurent, a débuté son allocution.
L’intention n’est pas anodine après la polémique suscitée en juin par le rapport sur « la protection des magistrats » remis au garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, dans lequel les auteurs dénonçaient « les tentatives de déstabilisation » émanant d’une « nouvelle génération d’avocats » qui adoptent « une défense beaucoup plus agressive avec l’institution judiciaire, dans un but évident de perturber le cours normal de la justice ».
Que leur dit celui qui a présidé pendant des années des audiences de tribunaux correctionnels et de cours d’assises ? Qu’ils ne doivent pas avoir peur des avocats, au contraire. « En ayant vécu de l’intérieur, je l’espère, les difficultés rencontrées par l’avocat pour remplir cette difficile mission de conseil en amont du magistrat, puis de défenseur devant le magistrat et enfin d’accompagnement après la décision de justice, vous n’oublierez pas le moment venu, qu’au-delà de l’âpreté, parfois de la violence du débat judiciaire, l’avocat n’est pas l’adversaire du magistrat mais un partenaire qui concourt à l’oeuvre de justice et que la qualité de la décision rendue dépend aussi de la qualité de la relation que le magistrat a su nouer avec lui ».
Il souligne encore qu’il « n’est pas de justice de qualité sans avocat de qualité, capable de traduire en termes juridiques les intérêts du justiciable, capable aussi d’être l’interprète de ses tourments, souvent de sa souffrance, face à une institution complexe, au fonctionnement parfois peu compréhensible ». Le juge, poursuit Olivier Leurent doit « examiner avec la même attention, la même écoute, la même patience, les arguments développés devant lui, par les uns et par les autres, quand bien même ces arguments tendraient à le déstabiliser, à remettre en cause une jurisprudence ou à contester une pratique professionnelle bien établie ».
À ces futurs juges, le directeur de l’ENM donne un dernier conseil. S’ils doivent craindre quelqu’un, c’est eux-mêmes. Évoquant l’importance de la motivation des décisions de justice, il rappelle que « à défaut de pouvoir toujours convaincre toutes les parties, elle doit être compréhensible par tous, structurée, dénuée de considérations morales, blessantes ou méprisantes ». En écho à l’avertissement lancé
en 1978 à leurs prédécesseurs par le grand magistrat Pierre Truche – « Vous allez exercer un métier dangereux.
Dangereux pour vos concitoyens. N’oubliez jamais ça » – Olivier Leurent ajoute : « Rappelez vous constamment que notre recrutement, même au terme d’un concours diffi cile ou sur titres consacrant un parcours élogieux, ne nous donne néanmoins aucune légitimité définitivement acquise pour juger nos concitoyens ».
On ne sait quelle empreinte laissera ce discours dans la mémoire des 366 auditeurs de justice. Souhaitons la forte. Car ce qu’ils ont entendu ne constitue pas seulement un sain viatique pour futurs magistrats, mais aussi pour tous les justiciables qui auront un jour affaire à eux.
Pascale Robert-Diard

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 37 – 12 SEPTEMBRE 2016

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