Extrait de LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 4 – 22 JANVIER 2018 – © LEXISNEXIS SA
EDITO
Sécurité routière
Philippe Meyer
« En France, 6 % des conducteurs sont, à un instant T en train d’utiliser leur téléphone. »
Le Gouvernement annonce une limitation de la vitesse autorisée à 80 kms à l’heure sur toutes les routes secondaires.
J’aborderai cette décision en remontant dans le temps et dans l’espace.
Dans un film de Michael Mann, « Révélations », Al Pacino incarnait un journaliste de « 60 minutes », l’un des plus célèbres magazines d’information des États-Unis et Russel Crowe un ingénieur employé par un fabricant de cigarettes. Ce biologiste refusait de continuer à garder le silence sur l’utilisation d’ingrédients chimiques augmentant la dépendance à la nicotine, favorisant le développement de cancers et agissant sur le système nerveux central. Il s’agissait d’une histoire vraie, et le témoignage du biochimiste coûta à l’industrie du tabac 246 milliards de dollars. Le fi lm sortit fi n 1999. Le Gouvernement des États-Unis jura, mais un peu tard, qu’on ne le prendrait plus à se laisser embobeliner par l’industrie privée.
Pourtant, il lui fallut 7 ans pour publier le rapport de la direction générale de la sécurité routière sur les conséquences de l’usage au volant des téléphones portables. Cette étude serait encore sous le boisseau si une main anonyme ne l’avait pas fait parvenir au New York Times. Elle établissait que l’usage du téléphone au volant était la cause de 240 000 accidents, dont 995 mortels. Interrogé par le New York Times, l’ancien directeur de la Sécurité routière étatsunienne fit état de pressions politiques lui enjoignant de ne pas publier cette étude, sous la menace de se voir couper l’ensemble de ses crédits. La recherche montrait qu’un conducteur qui téléphone, avec ou sans kit mains libres, est déconcentré, cesse de regarder dans son rétroviseur, réagit plus lentement. Ses capacités à éviter les obstacles diminuent, de même que celles à maintenir une distance de sécurité avec les autres véhicules, à réagir à une situation critique et même à maintenir son véhicule en ligne droite. Depuis l’étude que dissimula la sécurité routière étatsunienne, les chercheurs d’une université du Texas ont dénombré en 5 ans 16 141 décès consécutifs à des accidents provoqués par des conducteurs envoyant des textos au volant. Ils ont obtenu ces chiffres en croisant les données fournies par le Centre national de regroupement des données sur les accidents mortels et celles issues de la Commission fédérale des communications. En France, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et l’Institut français des sciences et technologies des transports ont publié une étude qui établit que 6 % des conducteurs sont, à un instant T en train d’utiliser leur téléphone ce qui triple les risques d’accident, que l’utilisation d’un kit mains libres ne diminue pas. L’envoi de SMS au volant ou la consultation de ses courriels multiplie ce risque par 23. Qu’a fait ou que fera le Gouvernement de cette étude, lui qui met la sécurité routière au premier rang de ses préoccupations ? Parions qu’il fera ce qu’il a déjà fait sur le même sujet : une grande campagne de sensibilisation qui donnera du travail aux communicants et aux publicitaires. Vous n’imaginiez tout de même pas que le Gouvernement se fâcherait
avec les industriels de la téléphonie mobile au nombre desquels on compte tant de propriétaires de journaux ?
TELECHARGER L’ARTICLE AU FORMAT PDF
LA SEMAINE JURIDIQUE EDITION GENERALE
Le magazine scientifique du droit.
Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.
AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck