La Semaine Juridique Edition Générale n°13
LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS
Serge Wasersztrum, des livres et lui
Libraire, médecin, collectionneur, dans sa librairie la « 42 e ligne » à Paris, Serge Wasersztrum expose près de 50 000 ouvrages et autant de dessins et de documents historiques. Dans un catalogue sur le thème « Crimes et châtiments », il fait revivre l’institution judiciaire des années 1890-1940. Le Musée du barreau de Paris a passé commande. Rencontre avec un personnage coloré.
Son antre, véritable caverne d’Ali baba, renferme des joyaux historiques, papiers jaunis couverts d’encre noir et d’écritures à la plume sur lesquels le maître des lieux veille comme sur des lingots d’or. En franchissant la porte, on est d’abord surpris par ce joyeux foutoir, avec pour unique meuble une table de bistrot. Celle sur laquelle s’asseyait Jaurès pour écrire, achetée aux enchères. Sur les étagères des milliers de manuscrits aux reliures de cuir, et par terre des dizaines de piles de dessins, de livres, de brochures. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits, Serge Wasersztrum si. Il les connaît tous, les a au moins parcourus si ce n’est lus et les organise en catalogues. « Je suis libraire ». Assurément. Mais pas que. Tout droit sorti d’un film de Woody Allen, juif d’origine polonaise, ce collectionneur volubile, dont la passion a viré à l’obsession, a aussi été psychiatre pendant 18 ans, possède un diplôme de médecin légiste jamais exercé, et imite De Funès aussi bien que sa mère yiddish. Pas de temps mort avec ce personnage inattendu et attachant, parfois difficile à suivre tant il foisonne d’anecdotes, passant du Second Empire à ses souvenirs à la faculté de Toulouse où il fût l’un des porte-paroles du mouvement de mai 68, « ça m’a coûté cher ». Serge a acheté son premier livre au marché aux puces de Saint-Etienne où il a grandi, le jour de ses 8 ans, un 22 mai 1951. Depuis, il accumule des livres sur la Révolution française, la médecine, l’économie, l’histoire de la justice, « en particulier les codes ». L’une de ses meilleures trouvailles : la convocation par Bonaparte lors de l’élaboration du Code civil. Le libraire fouille, chine, déniche la perle rare. « J’ai le sens de ce qui est le diamant, la pierre brute, le minerai, et je ne néglige pas le minerai. Je suis prêt à mettre le prix. Quand il s’agit de documents, je deviens féroce ».
Pour le libraire, l’histoire est un « éternel retour ». Avec ses documents qu’il nomme « mythomaniques », – comprendre : à l’appui desquels il prouve la véracité de ce qu’il affirme -, il lève des « scoops » qui ne convainquent pas toujours. Il faut dire qu’il a un côté « savant fou ». Avec ses cheveux argents, ses yeux pétillants, son humour parfois grinçant, et une mémoire d’éléphant, « pathologique » selon lui, il vous embarque, « vous voyez de quoi je veux parler ». Pas sûr.
En plus d’un demi-siècle, il a fait des découvertes historiques. Ce fils de déporté a mis la main sur l’original du « statut des juifs » écrit de la main de Pétain en 1940. Le document, qui a fait le tour du monde, est conservé au Mémorial de la Shoah. Autre pépite : un discours manuscrit de Mirabeau jamais prononcé devant l’Assemblée nationale et pas encore attribué. De ce côté-là, le libraire ne connaît pas la crise. Même s’il se revendique un peu Robin des bois. « Je ne vais pas au plus offrant ». Beaucoup de documents reviennent aux Archives nationales. Sur ses réseaux, il ne s’étend pas. Au plus évoque-t-il ses amitiés avec des hautes personnalités. Dans sa librairie, se rejoue la comédie humaine. S’étalent les oeuvres complètes de Machiavel, une esquisse de Joséphine Baker croquée par Jean Isy De Botton, ou encore « la source principale d’inspiration de Tintin ». Et ce mot qu’il a déposé à l’INPI, « incunabulles », « incunable » qui se dit des livres imprimés avant 1500 et « bulles » pour les BD, sa nouvelle marotte. Serge Waserztrum, fraîchement grandpère, a passé 2 pactes avec lui-même : arrêter d’exercer la psychiatrie « avant de devenir dangereux » et s’être séparé de tous ses ouvrages en 2020. Il a tenu la première promesse, qu’en sera-t-il de la deuxième ?
La Semaine Juridique – Édition Générale
Le magazine scientifique du droit.
Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.
AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck