Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°22
FRÉDÉRIC PELTIER, avocat, Viguié Schmidt Peltier Juvigny, expert du Club des juristes
Les sondages de marché dans le collimateur de l’AMF
Avant la connaissance des lois de la statistique la Pythie, les oracles, les devins, les voyants, les mediums et autres astronomes ont été consultés par les grands de ce monde à la veille de décisions capitales. Marie-Anne Lenormand disait l’avenir à Napoléon, comme à bien d’autres hommes politiques de la période tumultueuse de la Révolution française tels que Saint Just, Robespierre, Marat, Fouché ou Talleyrand.
Que cherchaient des hommes aussi rationnels dans la quête de cette prédiction du futur ? Certains étaient sans doute superstitieux, comme l’écrivait la créatrice du jeu de tarot, mais les cartes ou les boules de cristal, ou plus sérieusement les sondages d’aujourd’hui apportent des informations pour guider l’action présente, et qui sait, influer l’avenir.
S’agissant des marchés financiers, la volonté de prédire l’avenir est tout aussi puissante que dans le domaine politique. Déterminer les anticipations des acteurs économiques, c’est pouvoir disposer du petit temps d’avance qui permet de gagner de l’argent. Force d’ailleurs est de constater que certains économistes tels Nouriel Roubini qui avait prévu la crise des subprimes sont comparés à des oracles.
En matière de marchés fi nanciers, les sondages prennent cependant une autre forme que ceux mesurant l’opinion. Il s’agit d’interroger des investisseurs sur leur appétence à tel ou tel produit
ou telle ou telle opération fi nancière. Il n’est pas fait recours aux instituts d’opinion, mais ce sont les banques qui interrogent directement certains de leurs clients investisseurs sur les projets concernant les sociétés dont les titres sont cotés. Une telle pratique permet de calibrer des opérations, voire d’en mesurer la simple faisabilité. La pratique est forcément ultra secrète, car pour devenir oracle, la banque doit demeurer discrète au risque de mettre en échec, par une fuite, l’opération qui fait l’objet du test.
La pratique est dans le collimateur de l’Autorité des marchés financiers (AMF), car elle crée une distorsion d’information : la connaissance même de l’existence du sondage de marché est une information dont le sondé peut tirer profit, car elle est l’annonce quasi certaine d’une opération financière. Les sanctions de la Commission des sanctions de l’AMF infligées à BNP Paribas et de la Société Générale le 24 novembre dernier ne laissent pas une grande place à l’interprétation. Dès lors qu’il s’agit de calibrer une opération financière, laquelle nécessite forcément une réflexion avancée d’un émetteur sur le principe d’une telle opération et en particulier sur une fourchette des conditions financières qui doivent faire l’objet du test auprès des investisseurs sondés, la banque qui sonde lesdits investisseurs leur communique une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF. Celui-ci précise que « Lorsqu’un prestataire de services d’investissement entend pratiquer des sondages de marché (..) , il sollicite l’accord préalable des personnes qu’il envisage d’interroger. Il les informe qu’un accord de leur part pour participer au sondage les conduit à recevoir une information privilégiée au sens de l’article 621-1 ».
Ainsi, le sondage de marché rend le sondé initié par définition, parce qu’on lui demande son intention sur une décision d’investissement, et que pour ce faire, les données de la question
posée sont forcément précises. Il s’agirait même presque d’une pollicitation à en lire entre les lignes la récente décision de l’AMF.
Il n’en demeure pas moins que les banques peuvent parfois demander, sans qu’il s’agisse d’un sondage de marché, un avis à un ou plusieurs clients s’agissant de la situation d’un émetteur.
Solliciter un retour du marché sur telle ou telle problématique financière concernant un émetteur ne constitue pas un sondage de marché. Seule l’interrogation permettant de définir l’appétence d’un investisseur à prendre une décision d’investissement en lui fournissant des données financières suffisamment précises doit entrer dans la catégorie des sondages de marché. L’expertise d’une banque ou d’un prestataire de services d’investissement consiste dans sa connaissance des investisseurs et dans sa capacité à créer la convergence entre les besoins des émetteurs et les souhaits des investisseurs. Pour aboutir à cette fluidité nécessaire entre les acteurs du marché financier, il n’est pas opportun de qualifier de sondage de marché tout questionnement aux investisseurs pour guider les émetteurs dans leurs choix financiers.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 22 – 28 MAI 2012