Extrait de la Semaine Juridique Edition Générale
Edito
Exclusif.ve ?
Anastasia Colosimo
« La source grecque, latine, mille ans de façonnage et trois siècles de dictionnaire à la poubelle ! »
Haro sur la langue ! Voilà que le français est régulièrement accusé de véhiculer un sexisme qui, dans l’état avancé de notre civilisation, paraît intolérable. Il faut donc tout changer : la graphie, la syntaxe et même, pour les plus zélés, la grammaire. Tant pis pour l’Académie qui avait prévenu que le genre masculin est aussi en français un genre neutre. La source grecque, latine, mille ans de façonnage et trois siècles de dictionnaire à la poubelle ! En parlant d’une femme, vous avez déjà appris à dire « c’est une auteure » et vous vous entraînez à prononcer « autrice ». Dorénavant, vous
n’accordez plus des droits supérieurs aux mâles en parlant des « droits de l’homme » car vous avez opté pour l’expression non sexuée « les droits humains ».
À partir d’aujourd’hui, si vous êtes discipliné, vous devriez vous obliger, chaque fois que l’occasion se présentera, à décliner tous les noms et adjectifs en morse omni-genres. Voyons, un petit effort certes, mais quel saut dans l’émancipation : « chèr.e.s collègues, aimez-vous les un.e.s les autres ». Naguère, cette énième lubie serait restée l’apanage des quelques milieux militants ayant troqué la lutte des classes pour la lutte des races, puis pour la lutte des genres. Mais on peut toujours compter sur la démission avant-gardiste de nos élites, impuissantes, complices, ou les deux. En novembre 2015, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes publie « Pour une communication publique sans stéréotype de sexe ». Ce guide pratique, long de soixante-huit pages en patois administratif, s’inscrit dans une suite de textes analogues plus ou moins contraignants : recommandation du Conseil de l’Europe de 2008, feuilles de route ministérielles du Comité interministériel du droit des femmes, loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014, etc. À la rentrée scolaire 2017, les éditions Hatier sortent le premier manuel en langage « épicène », label savant pour cette conquête héroïque de l’insignifiant, à destination du CE2. Les élèves y apprendront que « grâce aux agriculteur.
rice.s, aux artisan.e.s et aux commerçant.e.s, la Gaule était un pays riche. » Faut-il accuser l’éditeur ? Sans doute, mais il est surtout crucial de s’interroger sur la portée ultime de telles recommandations.
D’autant que le ministère du Travail vient de publier un guide à destination des PME et TPE, où l’indispensable réduction des écarts salariaux entre
hommes et femmes et le nécessaire dépassement du plafond de verre s’accompagnent désormais d’une volonté d’éliminer la moindre expression d’apparence sexiste. Ce droit qui se veut mou n’en constitue pas moins une incitation normative, légère certes, mais c’est un premier pas. Ce n’est pourtant pas à l’État de modifier le langage. Ouf ! Jean-Michel Blanquer en est aussi convaincu. Et c’est très bien ainsi. Mais, après lui, le déluge ? Accepterons-nous que l’on nous impose une sorte de novlangue à la Orwell en agitant la surenchère sentimentale et le chantage affectif ? L’égalité entre les hommes et les femmes est un vrai combat qui ne souffre pas de se parer de fausses vertus. On ne change pas des mentalités
à coups de poing.(t.)s.
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LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 43 – 23 OCTOBRE 2017 – © LEXISNEXIS SA
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck