Techniques d’infiltration et droits de la défense

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°23

LA SEMAINE DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN 

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DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE

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Techniques d’infiltration et droits de la défense

Laure Milano, professeur à l’université d’Avignon (IDEDH, EA 3976)

CEDH, 23 mai 2017, n° 67496/10, Van Wesenbeeck c/ Belgique : JurisData
n° 2017-009916

Le développement de la criminalité organisée nécessite le recours fréquent aux techniques d’infiltration dans le cadre des enquêtes pénales. Ces techniques ont été utilisées dans l’enquête menée à l’encontre du requérant soupçonné de participer à une organisation criminelle et condamné à une lourde peine. Il invoquait tout d’abord l’impossibilité, tout au long de la procédure, d’accéder au dossier confidentiel consignant les autorisations et rapports de mise en oeuvre de ces techniques d’investigation. Or, si le droit à un procès équitable implique la faculté pour les parties de prendre connaissance et de discuter tous les éléments de preuve produits, il peut céder, au terme d’un contrôle de l’équité globale de la procédure, devant la nécessité de protéger l’anonymat et la sécurité des agents infiltrés (§ 70. – CEDH, 23 avr. 1997, n° 21363/93, 21364/93, 21427/93 et 22056/93, Van Mechelen et a. c/ Pays-Bas ). Le contrôle de la Cour aboutit à apprécier la conventionnalité de la loi belge. Elle constate que celle-ci a limité les éléments figurant dans le dossier confidentiel à ceux de nature à compromettre l’identité et la sécurité des personnes concernées. De plus, elle prévoit un contrôle judiciaire, par une juridiction indépendante et impartiale, de la régularité de la mise en oeuvre des méthodes d’investigation et de la nécessité de la confidentialité des données du dossier. Enfin, les pièces du dossier confidentiel ne peuvent être utilisées à titre de preuve au détriment du prévenu. Dans ces conditions, la Cour estime que la restriction des droits de la défense était justifiée et a été suffisamment compensée par la procédure de contrôle effectuée en amont (§ 83 ). Le requérant invoquait également l’impossibilité tout au long de la procédure d’interroger ou de faire interroger les agents infiltrés. Le droit d’interroger les témoins, consacré par l’article 6, § 3, d) de la Convention, n’est pas absolu. Toutefois, lorsque les déclarations d’un témoin qui n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuve, la Cour doit vérifier s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin, si ces déclarations ont constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation et s’il existait des éléments compensateurs à cette atteinte aux droits de la défense ( CEDH, gr. ch., 15 déc. 2011, n° 26766/05 et 22228/06, Al-Khawaja et Tahery c/ Royaume-Uni : JurisData n° 2011-033710 ). Bien que la Cour considère qu’il aurait été utile pour le requérant d’interroger les policiers infiltrés et que leurs dépositions avaient revêtu un poids certain dans sa condamnation, elle estime que l’examen rigoureux et la confrontation de tous les éléments de preuve par les juridictions internes ont contrebalancé l’impossibilité d’interroger les témoins et conclut à l’absence de violation de l’article 6, § 1 et 3. Elle oublie ce faisant de vérifier s’il n’existait pas d’autres moyens indirects d’interroger, au moins à un stade de la procédure, les témoins absents. Dans la lignée de la jurisprudence récente ( CEDH, gr. ch., 12 mai 2017, n° 21980/04, Simeonovi c/ Bulgarie : JurisData n° 2017 008947 ; JCP G 2017, act. 578, obs. L. Milano ), la solution retenue paraît donc en régression avec les principes jusqu’ici posés ( CEDH, gr. ch., 15 déc. 2015, n° 9154/10, Schatschaschwili c/ Allemagne : JurisData n° 2015-029141 ; JCP G 2016, act. 28, obs. G. Gonzalez )

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°23 – 5 JUIN 2017
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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