[Article] Thierry Verheyde, la justice au coeur

La Semaine Juridique Edition Générale n°10

LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS

Le 12 février dernier s’est éteinte une grande voix de la magistrature française, celle de Thierry Verheyde. L’ensemble de la profession salue aujourd’hui un éminent juriste, dont les qualités humaines égalaient les compétences techniques.

Il est difficile de retracer en quelques lignes la riche carrière de Thierry Verheyde, né en 1959 dans le Pas-de-Calais à Hénin Beaumont, qui avait intégré la magistrature en 1984 comme major de promotion à l’ENM : juge d’instance (à Amiens, à Saint-Omer et à Roubaix), juge au tribunal de grande instance (à Lille), président de TGI (aux Sables d’Olonne et à Dunkerque), conseiller de cour d’appel (à Douai), président de chambre de cour d’appel (à Aix-en-Provence). Au-delà de ces différentes fonctions, exercées avec modestie, sérieux, et respect du justiciable, sa carrière a été irriguée par au moins trois passions.
Thierry Verheyde aimait profondément le métier de juge d’instance, qui lui permettait d’allier un goût certain pour les questions juridiques pointues, le contact direct avec le justiciable, les questions sociales et le sens du service public. Il était l’un des fondateurs de l’ANJI (l’Association nationale des juges d’instance), qui conseille le ministère de la Justice et le Parlement sur toutes les questions relatives à la justice de proximité, et défendait activement la place et l’organisation du tribunal d’instance. Féru de nouvelles technologies, il avait fondé la liste Internet « tibis », – qu’il contribuait à faire vivre et à animer avec finesse, bienveillance et humour -, regroupant nombre de juges d’instance, afin de permettre échanges et réflexions. Autre fil rouge de sa carrière : la pédagogie et l’échange. À l’ENM, il avait enseigné comme maître de conférences dans les années 90 et animé de multiples sessions de formation continue. Pédagogue né et orateur toujours clair, il réussissait à faire partager sa passion pour le droit civil et la procédure civile, l’acte de juger mais également les modes alternatifs de règlement des conflits (dont il soulignait sans cesse l’utilité sociale), la justice d’instance et les relations avec les justiciables.
Il a ainsi contribué à former des centaines de magistrats, et à sensibiliser avocats et travailleurs sociaux au droit des incapacités lors d’interventions dans divers organismes de formation. Il avait aussi activement participé à la classe préparatoire « égalité des chances » de l’ENM et suivait avec attention les auditeurs de justice de sa cour d’appel. Toujours avec un oeil avide de nouveautés, il participait à d’innombrables colloques et séminaires consacrés au droit des majeurs protégés.
Thierry Verheyde était particulièrement connu pour ses compétences en droit des incapacités, sujet sur lequel il avait publié plusieurs ouvrages collectifs et écrivait des
articles de doctrine. Considéré comme l’un des meilleurs spécialistes – si ce n’est le meilleur – en matière de protection des personnes majeures protégées, il a longtemps
oeuvré pour ouvrir la justice aux handicapés. Lors de la réforme des tutelles, consacrée par la loi du 5 mars 2007, il a été de tous les débats conduisant à l’adoption
de ce texte, lequel de l’avis général, respecte un subtil équilibre entre la protection de la personne et les atteintes que cette protection porte à sa liberté. Autant
théoricien de la matière que spécialiste de terrain – Thierry Verheyde présidait à la cour d’appel de Douai la chambre des appels en matière de tutelles et avait été
nommé coordonnateur de la cour dans ce domaine – il a largement contribué à ce que les principes retenus puissent concrètement être mis en oeuvre par les acteurs
de la protection des majeurs. De par sa personnalité et ses actions, il aura marqué toute une génération de magistrats qu’il a accompagnée et qui rend désormais hommage à un grand juriste, que tous décrivent comme un être lumineux, bienveillant, chaleureux, drôle, humain, disponible, un mentor aux précieux conseils, fin d’esprit et toujours pertinent, que finissaient de rendre attachant une modestie et une humilité à toute épreuve.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE N°10 – 6 MARS 2017

semaine juridique n6 couverture

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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