EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ENTREPRISE ET AFFAIRES – N° 42 – 17 OCTOBRE 2019
NOTE SOCIÉTÉS ET ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
Une hiérarchie injustifiée : la prévalence des statuts sur le pacte d’actionnaires
Les statuts rédigés après le pacte d’actionnaires devaient prévaloir sur celui-ci dans la détermination de la majorité nécessaire au vote de révocation des dirigeants-fondateurs du conseil de surveillance d’une SA. Les statuts rédigés postérieurement au pacte d’actionnaire constituent un amendement implicite de celui-ci en application de l’article 1189, alinéa 2 du Code civil. Bien que l’arrêt soit inédit, la formule posée par la Cour de cassation est suffisamment abstraite pour être importante.
ARNAUD RAYNOUARD professeur des universités, université Paris-Dauphine PSL, I2d comité scientifique juridique, Taj |Deloitte Legal
FRÉDÉRICK WLODKOWSKI avocat, Taj |Deloitte Legal

Cass. com., 5 juin 2019, n° 17-18.967, inédit
Le 5 juin 2019, la Cour de cassation, en chambre commerciale, rendait une décision dont le fondement juridique ne se laisse pas aisément deviner.
En approuvant les juges du fond selon lesquels « les stipulations des statuts devaient prévaloir sur celles du pacte d’actionnaires », la chambre commerciale semble ébranler le lent échafaudage du régime des pactes d’actionnaires. On s’accordait pourtant, progressivement, à le stabiliser, à en clarifier les forces et faiblesses ; ainsi de l’arrêt du 27 juin 2018 (Cass. com., 27 juin 2018, n° 16-14.097 : Dr. sociétés 2018, comm. 203, R. Mortier) qui confirmait l’efficacité des stipulations issues d’un pacte extrastatutaire, auquel il était opéré un renvoi à partir des statuts (sur la question, en général, V. en dernier lieu, E. Lamazerolles, Quelques idées reçues sur les pactes d’actionnaires : JCP E 2019, 1394).
Cette formule posée sans ménagement, et sans être véritablement liée au seul cas d’espèce, lequel serait irréductiblement singulier, impose de s’y arrêter. Des esprits taquins observeront d’emblée que c’est donner trop d’importance à un arrêt qui n’en appelle pas tant, la Cour de cassation elle-même le laissant dans la catégorie des inédits.
C’est indiscutable, sauf à observer que, exceptionnellement, la Cour peut sous-estimer l’intérêt d’un arrêt. Mais surtout que l’accès désormais banalisé, généralisé, « big dataïser » des arrêts a réduit l’intérêt de la distinction. Les honneurs subtils des différentes diffusions (bulletin, flash…) permettent sans aucun doute d’identifier les orientations de politique jurisprudentielle de la Cour régulatrice. Cela ne saurait constituer une affirmation définitive de l’intérêt et de l’importance de l’arrêt. Aisément accessible, toute décision emporte désormais une solution potentiellement exploitée.
On enseigne classiquement que les statuts et le pacte sont de même nature, contractuelle, déployant dès lors la même force obligatoire : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » dit le Code civil en son article 1103. Il n’y a pas, par essence, de supériorité des statuts en application du droit des sociétés. Tout dépendra du cas d’espèce selon la nature des clauses méconnues et des règles particulières du droit des sociétés, lesquelles peuvent faire prévaloir les statuts. C’est alors l’existence d’une règle impérative du droit des sociétés, créant un domaine réservé aux statuts, qui imposera la prévalence de ces derniers sur le pacte extrastatutaire dans l’hypothèse de leur contradiction (not. Cass. com., 7 janv. 2004, n° 00-11.692 : JurisData n° 2004-021750). L’arrêt du 5 juin pose une affirmation qui est, à première lecture, péremptoire. La justification de la solution est : les statuts devaient prévaloir sur le pacte. S’arrêter à cela serait pourtant une lecture (trop) hâtive, quand bien même l’arrêt soulève des discussions. L’examen des faits (1) permet de contester la primauté statutaire fondée sur la chronologie des actes au détriment du respect de la volonté des parties (force obligatoire) (2).

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AUTEUR(S) : Julie Klein, Tristan Azzi,Martine Behar-Touchais, Florence Deboissy, Bruno Dondero, Antoine Gaudemet, Dominique Legeais, François-Xavier Lucas, Vincent Malassigné, Philippe Pétel, Christophe Roquilly, Christophe Seraglini, Frédéric Stasiak et Bernard Teys