L’avenir de l’entreprise d’avocats : rapport d’étape sur le financement des cabinets d’avocats

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°21

LA SEMAINE DU PRATICIEN INFORMATIONS PROFESSIONNELLES

« Ce qui se joue est l’avenir de l’entreprise d’avocats »

3 questions à Philippe Charles et Frédéric Moréas, fondateurs, AGN Avocats

Lors de l’AG du CNB du 12 mai dernier, les Commissions Prospective et Statut professionnel de l’avocat présidées respectivement par Louis Degos et Delphine Gallin ont proposé une réflexion commune dans un rapport d’étape sur le financement des cabinets d’avocats. Mettant en avant l’approche économique de l’entreprise d’avocat, le rapport pointe le fait que nombre de concurrents des avocats ont les capitaux ouverts. Une situation créatrice de restriction de concurrence, permettant à des intermédiaires non-avocats de s’immiscer entre avocats et clients et de dicter ainsi leurs conditions commerciales aux avocats. Pour y remédier, le rapport préconise l’ouverture du capital des cabinets d’avocats à hauteur de 49 %. Premières réactions de Philippe Charles et Frédéric Moréas, deux avocats entrepreneurs dont le cabinet a réalisé la première levée de fonds en France au mois de février 2016 (V. not. JCP G 2014, act. 88 ).

Quels sont les apports principaux du Rapport d’étape sur le financement des cabinets d’avocats ?
Deux Commissions du CNB ont produit un travail de très grande qualité en pointant du doigt la plus grande faiblesse des cabinets d’avocats français : le fait qu’ils ne peuvent pas devenir de vraies entreprises sans avoir accès à un financement identique aux autres acteurs du marché du droit. Ce rapport identifie un marché du droit concurrentiel dans lequel les avocats sont un acteur économique parmi d’autres. À partir de ce constat, le rapport note que tous les principaux concurrents des avocats ont tous les capitaux ouverts : une société d’expertise comptable a les capitaux ouverts, une société legaltech ou plateforme 2.0 a aussi les capitaux ouverts. Il y a donc des acteurs sur le marché du droit qui disposent d’une force de frappe largement supérieure aux avocats pour faire un métier proche ou équivalent, qui peuvent investir dans des innovations, dans des recrutements, dans des infrastructures, dans du personnel qualifié…. sans être bloqué contrairement aux avocats qui sont systématiquement empêchés dans leurs initiatives entrepreneuriales. Le rapport identifie donc une restriction de concurrence majeure qui pèse sur les avocats et propose une solution avec l’ouverture d’une partie minoritaire du capital des cabinets d’avocats à hauteur de 49 %.

Cette proposition est-elle nouvelle ?
Cette proposition moderne n’est pas nouvelle, plusieurs autres figures progressistes de la profession se sont déjà positionnées sur ce sujet. Les six derniers mois ont même été marqués par une multiplication de cette proposition qui désormais s’impose. Tout d’abord, Marie-Aimée Peyron en a fait un engagement fort de son programme et nul doute que cela a compté en sa faveur dans son élection très serrée au Bâtonnat de Paris car les avocats entrepreneurs ont majoritairement soutenu cette proposition. Ensuite, Le rapport sur l’avenir de la profession d’avocat commandé par le garde des Sceaux et présenté par Kami Haeri reprend cette proposition après avoir très bien saisi la situation défavorable des avocats français sur ce sujet. Avant eux, d’éminents représentants de la profession étaient allés en ce sens comme Thierry Wickers ou Paul-Albert Iweins. Au demeurant, c’est la première fois depuis la loi Macron qu’une commission du CNB prend une position d’évidence sur ce sujet qui n’avait pas été bien compris ou expliqué en 2014. Manifestement cette commission a compris que dans les mouvements du marché du droit, il fallait avancer et ne pas se recroqueviller.
Les avocats veulent avancer, ils veulent le faire dans leurs entreprises, ils veulent que leurs entreprises soient de vraies entreprises dans le jeu concurrentiel.

L’ouverture des capitaux sera-t-elle encadrée ?
Telle que pensée aujourd’hui, elle est encadrée et c’est normal. Il ne s’agit pas d’ouvrir sans limite, il s’agit d’ouvrir en conciliant avec notre identité d’avocat et il est sain que dans leurs entreprises, les avocats soient majoritaires. En conséquence, la proposition du rapport – et elle fait largement consensus dans le courant progressiste – est d’ouvrir à hauteur de 49 % du capital et de travailler sur les droits des actionnaires extérieurs. Par exemple, on peut comprendre qu’un actionnaire attende un retour sur investissements, on ne peut pas comprendre qu’il ait accès au nom des dossiers qui sont par définition confidentiels. Mais pour tout cela, aussi bien le droit des sociétés que les principes essentiels de la déontologie permettent d’apporter des réponses simples et efficaces. Vous savez, il faut bien mesurer ce qui se joue derrière l’ouverture des capitaux à hauteur de 49 % et même derrière la levée de toutes les restrictions de concurrence qui pèsent sur les avocats. Ce qui se joue est l’avenir de l’entreprise d’avocats, soit il deviendra possible de créer de vraies entreprises, soit nous resterons dans la logique d’autofinancement pénalisante que même les sociétés coopératives ont abandonné. Dans le premier cas, nous resterons un acteur majeur du marché du droit, dans le second cas, des intermédiaires non-avocats se placeront entre les avocats et les clients voire des professions se substitueront aux avocats, dans le domaine du conseil par exemple. Nous restons optimistes pour une évolution favorable.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°21  – 22 MAI 2017

couverture La semaine juridique N°9
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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