[Libres propos] « Que serais-je sans toi ? » « Que serais-je sans vous ? »

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 9-10 – 4 MARS 2019

Femmes et droit

« Que serais-je sans toi ? »

« Que serais-je sans vous ? »

POINTS-CLÉS ➜ Le titre choisi, qui n’est pas de moi, manifeste l’hommage que j’ai voulu rendre à des femmes d’exception ➜ J’évoquerai dans ces colonnes trois femmes, à mes yeux, exemplaires, Mireille Delmas-Marty, Christiane Taubira et Gisèle Halimi ➜ Le ton délibérément engagé des propos qui suivent ne m’a été inspiré que par mon expérience

Christian Charrière- Bournazel, avocat au barreau de Paris, ancien Bâtonnier de l’Ordre, ancien Président du Conseil national des barreaux

Est-il besoin de redire ce que chacun de nous doit à la femme qui l’a porté, aux soeurs qui l’ont aidé à grandir, à la compagne, à l’épouse, aux collaboratrices sans qui son chemin aurait ressemblé à une errance dans le désert ?

Est-il besoin de rappeler ce que nous devons dans l’histoire à des femmes exemplaires qui ont contribué à en changer le cours : Aliénor d’Aquitaine, Jeanne d’Arc, Olympe de Gouges, George Sand, Louise Michel, Marie Curie et tout près de nous, Simone Veil ?

S’il est encore des individus rétrogrades comme les dirigeants de l’Automobile Club qui, depuis septembre dernier, interdisent aux femmes l’accès de la salle à manger du premier étage, point n’est besoin aujourd’hui de militer pour l’égalité : l’homme averti sait en quoi la femme lui est supérieure.

Puisqu’on me fait l’honneur de me demander de parler de femmes en relation avec le Droit, je voudrais évoquer trois personnes, sans qu’on puisse me reprocher d’exclure les autres : Mireille Delmas-Marty, Christiane Taubira et Gisèle Halimi. Mireille Delmas-Marty (V. JCP G 2011, act. 472. – V. aussi Hors-Série Portraits de femmes, p. 8 ; http.//tendancedroit/portraits- defemmes ), docteur en droit puis agrégée de droit privé et de sciences criminelles, a accompli un parcours universitaire éminent jusqu’à devenir professeur au Collège de France. Sa carrière d’enseignante internationale est d’une extraordinaire richesse. Elle a, en même temps, été appelée à plusieurs reprises pour être l’un des sages de la Commission de réforme du code pénal de 1981 à 1986. Elle est devenue ensuite présidente de la Commission « Justice pénale et droits de l’homme » et a été appelée à donner des avis éclairés. Sa préoccupation d’une justice internationale efficace l’a amenée à réfléchir sur la création de ce qui deviendra, en 1998, grâce au Traité de Rome, la Cour pénale internationale. J’ai eu le plaisir de converser avec elle plusieurs fois et notamment autour de Voltaire et de la définition qu’il avait donnée des délits locaux au regard des attentats qui révoltent l’humanité toute entière, première ébauche, avant même la Révolution française, de ce que deviendra, au fil de l’histoire, le crime contre l’humanité.

Bref, j’ai plaisir à lui rendre hommage à la fois pour la grandeur de sa pensée, sa force de travail, la pertinence de ses oeuvres et sa très grande modestie.

La deuxième personne à laquelle je songe est Christiane Taubira. J’ai eu l’occasion de l’approcher avant qu’elle ne fût garde des Sceaux, au moment où j’avais décidé de faire forger un médaillon en l’honneur de Gaston Monnerville qui fut un ami de mon père, que j’ai fréquenté toute ma jeunesse et qui a été ma caution morale quand j’ai prêté serment. Né à Cayenne, petit-fils d’esclaves, il était issu de la même terre que Christiane Taubira, ainsi toute désignée pour inaugurer cette cérémonie.

Je l’ai connue ensuite comme garde des Sceaux et j’ai particulièrement apprécié la qualité de son écoute et sa volonté de servir un idéal de justice qui l’habitait en raison de ce qu’elle appelait son triple privilège d’être née pauvre, noire et femme ! Son engagement pour l’indépendance de la Guyane fut en réalité une manière de revendiquer cette considération qui fait défaut aux minoritaires comme aux femmes. Mais elle n’a jamais, de mon point de vue, milité avec haine ou violence. Son sens de l’autre et sa relation avec notre terre (elle a été co-fondatrice de la Confédération caraïbe de la coopération agricole) ont toujours entretenu chez elle une forme d’humilité que son talent, sa culture et sa mémoire auraient pu lui faire perdre de vue…

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