[Portrait] Jeanne Chauvin, une pionnière

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 9-10 – 4 MARS 2019

LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS

Jeanne Chauvin, une pionnière

En 1901, Jeanne Chauvin a été la première femme avocate à plaider en France. Cette pionnière a combattu toute sa vie en faveur de l’accès des femmes à l’université et au barreau.

Plus de 100 ans se sont écoulés. 100 ans pendant lesquels, loin d’être restées endormies, les femmes ont été de tous les combats pour l’égalité. Si Jeanne Chauvin se réveillait aujourd’hui et entrait dans un tribunal, sans doute écarquillerait-elle les yeux et serait-elle fière du chemin parcouru par les femmes : majoritaires au sein de la profession d’avocats, majoritaires dans la magistrature. Est-il loin ce 30 novembre 1897, ce jour où Jeanne Chauvin s’était vue signifier un refus alors qu’elle justifiait des diplômes requis pour prêter serment. Avec son frère, Emile Chauvin, avocat, ancien secrétaire de la Conférence, professeur de droit et député, ils obtiennent le vote de la loi du 1 er décembre 1900 autorisant les femmes à exercer la profession d’avocat. Nombreux sont les opposants, à l’image de ce député : « Si les femmes reçoivent le droit de plaider, ne risque-t-on pas d’accuser le magistrat de s’être laissé convaincre par d’autres moyens que de bons arguments juridiques ? ». Première femme à prêter serment, Olga Balachowsky-Petit est ainsi décrite dans un article du Figaro : « avocate mignonne, gracieuse, la chevelure un peu ébouriffée ». À son tour, Jeanne Chauvin devient avocate le 19 décembre 1900. Première femme à plaider en 1901 dans une affaire de contrefaçon de corsets, elle est raillée par les hommes qui accueillent sa prestation par des « Robe sur robe ne vaut ».

Née le 22 avril 1862 et morte en 1926, l’année où elle fut nommée chevalier de la Légion d’honneur par Raymond Poincaré, lui-même avocat, cette fille de notaire devenue orpheline à 16 ans, était titulaire de deux baccalauréats, en lettres et en sciences et de deux licences, en philosophie et en droit. En 1892, elle devient la deuxième femme docteur en droit dans le monde avec une thèse consacrée à « L’Étude historique des professions accessibles aux femmes », où elle affirme sans ambages que c’est notamment sous l’influence de la Bible et du droit canon qu’ont été introduites et consolidées les inégalités juridiques entre hommes et femmes. Deux ans avant elle, la roumaine Sarmiza Bilcescu avait soutenu une thèse sur le thème « De la condition légale de la mère ».

Ces noms de femmes, disparus dans les limbes de l’histoire, ont emmené dans leur sillage des milliers de femmes de Robe à qui elles ont ouvert la porte des prétoires. Brillante, moderne, à l’avant-garde des combats féministes, Jeanne Chauvin s’est par la suite, lit-on, consacrée à l’enseignement du droit dans des lycées parisiens, servant de modèle aux jeunes filles pour les convaincre de rejoindre les bancs de l’université. De Gisèle Halimi à Shirin Ebadi, avocate iranienne, première femme à avoir exercé comme juge en Iran, prix Nobel de la Paix en 2003, partout dans le monde, les avocates, bien avant d’obtenir le droit de vote, ont écrit l’histoire…

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