[Article] Interdiction de discrimination

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°13

INTERDICTION DE DISCRIMINATION
374
Défaut de mesures positives visant à corriger une inégalité de fait
Laurèn Audouy, docteur en droit, université de Montpellier, IDEDH (EA 3976)

CEDH, 23 févr. 2016, n° 51500/08, Çam c/ Turquie : JurisData n° 2016-004822

Dans la lignée de l’affaire Glor (CEDH, 30 avr. 2009, n° 13444/04, Glor c/ Suisse : JCP G, 2009, doctr. 143, n° 29, obs. F. Sudre) , la Cour confirme, par un arrêt rendu sur le terrain du droit à l’instruction (CEDH, Prot. n° 1, art. 2), que le principe de non-discrimination interdit les distinctions fondées sur le handicap. En l’espèce, la requérante, non-voyante, contestait la décision portant refus de l’inscrire au conservatoire national de musique qui, selon elle, ne pouvait se justifier qu’à l’aune de sa cécité puisqu’elle avait d’une part, réussi son concours d’entrée et d’autre part, obtenu un certificat médical attestant de son aptitude à recevoir une éducation dans les sections du conservatoire où la vue n’est pas requise.

Relevant que la législation turque en vigueur, de même que la réglementation dudit conservatoire, ne contenaient pas de dispositions visant à exclure les personnes non-voyantes, la Cour s’interroge sur l’existence d’une discrimination indirecte et constate – au vu des « effets d’une telle exigence [fourniture d’ un certificat médical] sur les personnes […] qui présentent un handicap physique » (§ 59 ) – que la cécité de la requérante constitue bien le motif de ce refus (§ 60). Or, c’est parfois « l’absence d’un traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, sans justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition » (§ 54). Si la Cour considère qu’une législation positive, visant à compenser une inégalité, n’est pas en soi contraire à la Convention dès lors qu’elle ne conduit pas à créer une situation discriminante (CEDH, gr. ch., 12 avr. 2006, n° 65731/01, Stec et a. c/ Royaume-Uni, § 53) , elle n’avait toutefois jamais fait peser d’obligations positives sur les États. Ici, un pas est clairement franchi puisque l’article 14 requiert désormais l’adoption de mesures visant à corriger les inégalités de fait qui, non justifiées, constituent une discrimination (§ 65) ; la détermination de ces mesures restant toutefois à la libre appréciation des États, conformément au principe de subsidiarité (§ 66) . À l’appui de sa motivation, la Cour mobilise d’une part le principe d’effectivité des droits (§ 64), d’autre part les sources pertinentes de droit européen et international et, plus précisément, l’article 2 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006, qu’elle incorpore ni plus ni moins dans son interprétation pour consacrer une obligation positive de prendre des « aménagements raisonnables » permettant d’assurer « la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres », des droits de l’homme (). En l’espèce, puisque les instances nationales n’ont, à aucun moment, ne serait-ce qu’envisagé de proposer des aménagements pour rendre les enseignements accessibles aux enfants non-voyants, la Cour conclut à une violation de la Convention. Cet arrêt illustre par ailleurs l’attention particulière portée aux personnes vulnérables – qui plus est aux enfants en situation de
handicap – et l’on ne peut que s’en féliciter !

INTERDICTION DE DISCRIMINATION
375
Exclusion discriminatoire des candidats à l’entrée du territoire atteints du VIH
Béatrice Pastre-Belda, maître de conférences, université de Montpellier, IDEDH (EA 3976)

CEDH, 15 mars 2016, n° 31039/11 et a., Novruk et a. c/ Russie : JurisData n° 2016-004826

Se prononçant à nouveau sur l’interdiction faite aux personnes séropositives d’entrée sur le territoire Russe (V. CEDH, 10 mars 2011, n° 2700/10, Kiyutin c/ Russie : JCP G 2011, act. 392, obs. L. Milano), la Cour mobilise la désormais classique technique de la protection par ricochet contraignant les États à exercer leur contrôle migratoire en conformité avec la Convention (§ 83). Ne pouvant obtenir un
permis de séjour, les requérants, séropositifs, alléguaient une discrimination fondée sur leur
état de santé. Concluant à l’applicabilité de l’article 14, combiné à l’article 8 (§ 89), la Cour rappelle que même si l’article 14 ne mentionne pas l’état de santé parmi les motifs discriminatoires,
la séropositivité relève de « toute autre situation » (§ 91 . – CEDH, 3 oct. 2013, n° 552/10, I.B. c/ Grèce, § 73 : JurisData n° 2013-022676 ; JCP G 2013, act. 1081, obs. B. Pastre-Belda ; JCP G 2013, 1288, note J. Colonna). Placés dans une situation analogue à celle d’autres étrangers demandant un permis de séjour, les requérants ont été traités différemment en application d’une loi (§ 95). Particulièrement
rigoureux, le contrôle prétorien s’appuiera tant sur la vulnérabilité des personnes séropositives
(§ 100) que sur l’isolement depuis 2011 de la Russie au sein du Conseil de l’Europe sur cette problématique (§ 101) et plus largement sur « l’écrasant consensus européen et international dans le sens d’une abolition des restrictions posées par les États à l’entrée, au séjour et à la résidence sur leur territoire des ressortissants étrangers séropositifs » (§ 111).
Toute différence de traitement devait dès lors être justifiée par des motifs particulièrement impérieux et les autorités devaient procéder à une appréciation individualisée (§ 100 et 108) . Or, le refus opposé aux étrangers séropositifs est prescrit de manière systématique et inconditionnelle par la loi (§ 109), et est notamment fondé sur une présomption que ces personnes, en général, adopteraient un comportement à risque (§ 105). Ayant de surcroît un caractère illimité, l’interdiction de séjour était manifestement disproportionnée au but poursuivi (§ 110) emportant ainsi violation de la Convention.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 13 – 28 MARS 2016 

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 13 - 28 MARS 2016

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