[Edito] Morosité

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°13

Jean Hauser
« Depuis la fin du dernier siècle le thème de la morosité des Français est récurrent. »

Depuis la fin du dernier siècle le thème de la morosité des Français est récurrent et le bon docteur Coué qui, quant à lui, œuvrait, pour l’optimisme, y est convoqué. Il est de bon ton de pleurer, d’être inquiet et la ménagère de plus de 50 ans ou le veuf de Carpentras délaisse le jeu inflationniste des mille euros pour des émissions sur la faim dans
le monde, les progrès de la pollution, la fin de la planète et la submersion programmée de chapelets d’îles dont il ignorait l’existence. Il paraîtra étonnant de leur conseiller la lecture de l’INSEE dont les productions ne sont pourtant pas réputées pour déclencher de franches rigolades. L’étude s’intitule « Mesurer pour comprendre », titre résolument provocateur, qui devrait être interdit en un temps où on ne mesure ni ne cherche à comprendre puisque d’autres comprennent à notre place. On y apprend que, si le nombre de
décès diminue en 2014, une étape vers l’apocalypse puisqu’il y a trop de monde sur terre, la période estivale reste la plus clémente (mais vite la canicule sinon que vont donc faire nos politiciens en été ?). Et puis voilà que les décès hivernaux ont aussi baissé (un effet certain du réchauffement catastrophique). Les mâles meurent plus facilement avant 80 ans, et surtout dans leur première année (les mères ont donc raison de se préoccuper plus de leurs garçons !). Mais, pour les champions de l’égalité, la parité se rétablit entre 80 et 85 ans, âge où les femmes comprennent enfin que, pour être conformes, il faut mourir dans la même moyenne que les hommes. Nous avons, par rapport à nos ancêtres, des raisons d’être moroses : entre 1950 et 2014, 13 fois moins de décès d’enfants de moins d’un an. Les garçons sont toujours plus fragiles entre 15 et 24 ans, ils conduisent trop vite, se suicident plus facilement, peut-être un peu fous comme leurs lointains ainés qui sont partis aux croisades ou ont fait les guerres (qu’en pensent les obsédés de la confusion des sexes ?). Il faut souhaiter, bien sûr, que les filles se mettent à fumer, à boire et à devenir kamikazes (sur tous ces points ce serait en bonne voie !) pour produire enfin des statistiques moins sexistes. En 1950, 32 % des décédés avaient moins de 60 ans contre 12 % en 2014. On a vraiment, à cette lecture, des raisons d’être morose. Les vieux ne cèdent plus la place aux jeunes, les jeunes ne sont pas devenus raisonnables, les enfants, sources de petits soucis, s’obstinent à continuer à vivre pour nous en causer de plus grands. Tout cela est bien triste. Dans un dessin plein d’humour, un de nos grands dessinateurs opposait jadis une ménagère riante écoutant radio crochet en 1950, dans une cuisine rudimentaire et la même, toute triste, dans un appartement confortable vingt ans après. On imagine la scène en 2016. Elle a une cuisine rutilante, elle entend le bilan d’un accident de camion à l’autre bout du monde et la fin de l’humanité à cause du porc qui est cancérigène, des légumes contaminés et de l’accroissement des maladies cardiaques (à quel âge ?). Vraiment, elle n’a pas de chance, de ne pas avoir subi deux guerres mondiales, de ne pas avoir perdu des enfants en bas âge et de mourir à l’heure. Elle va devoir durer même si elle se demande si la vie vaut vraiment la peine d’être vécue, comme elle l’a déclaré au micro de France Bla Bla, non sans avoir remercié qu’on ait pris son appel. On est heureux comme on peut, ou plutôt comme on veut, et pas comme on nous dit de le vouloir. Relire Jean Giono, « Que ma joie demeure ».

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 13 – 28 MARS 2016 

LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 13 - 28 MARS 2016

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