EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 46 – 11 NOVEMBRE 2019
Sucré-salé judiciaire
Pascale Robert-Diard

Le hasard a voulu que je reçoive en même temps Coups de barre (Seuil, nov. 2019), le recueil tiré des chroniques de comparutions immédiates que la journaliste Dominique Simonnot publie chaque semaine dans Le Canard Enchaîné et le lien de visionnage du documentaire Rendre la Justice, réalisé par Robert Salis et co-écrit avec le magistrat Jean- Christophe Hullin, qui sort en salles le 13 novembre. À tous ceux qui s’intéressent au fonctionnement de la justice, je recommande vivement cette expérience de sucré-salé judiciaire.
La première dédie son livre à Vamara Kamagate, un sans logis ni papiers, condamné en comparution immédiate à dix-huit mois ferme en 2008 pour une agression sexuelle, dont la « victime » a fini par avouer qu’elle l’avait inventée de toutes pièces. La jeune femme avait voulu réveiller l’attention défaillante que lui portait son compagnon policier. Vamara Kamagate a passé six mois en prison avant que la commission de révision n’annule sa condamnation et qu’un autre tribunal reconnaisse qu’il était bien victime, lui, d’une erreur judiciaire. Je me souviens de cet homme et de son regard perdu quand le président du tribunal lui avait annoncé qu’il était définitivement relaxé. Il était tard ce soir de septembre 2010 et dans le palais désert, Vamara Kamagate avait seulement demandé à son avocate de l’aider à trouver la porte de sortie. Il est mort neuf mois plus tard, il avait 49 ans. L’auteure ne pouvait choisir plus judicieuse entrée en matière à ses « Coups de barre ». De Paris à Poitiers, de Bobigny à Créteil, en passant par Marseille, Lille, Orléans, Bordeaux, Valence ou Perpignan, ses croquis piquent, cinglent et souvent vrillent le coeur.
Les seconds se placent sous le patronage de Cocteau et de son Testament d’Orphée . « À quoi donc vous avait-on condamnés ? À juger les autres. À être des juges ». Dans un cadre majestueux d’or et de boiseries, de statuaires, d’allégories et d’hermine, des femmes et des hommes racontent leur métier de magistrats, évoquent les grands principes qui les animent. « Humanité, humilité » dit François Molins, procureur général près la Cour de cassation. « Tout le monde doit être traité avec la même attention », rappelle Emmanuelle Perreux, directrice des études à l’École nationale de la magistrature. « Si j’écrase le justiciable de mon mépris au motif qu’il comparaît devant moi, je me trompe de cible », affirme André Potocki, juge à la Cour européenne des droits de l’homme. On replonge dans le recueil de chroniques de Dominique Simonnot. Page 14, par exemple. Un homme comparaît pour conduite sans permis. Il se justifie maladroitement en disant qu’il allait acheter en urgence des couches pour son bébé. Le procureur : « Si j’étais entre amis, je dirais que monsieur en tient une couche… » Ou encore page 70. Zaïr, ressortissant algérien jugé pour vol, affirme qu’il est mineur. Le procureur : « Que boivent donc les bébés de Sidi Bel Abbès ? Parce que monsieur, qui prétend avoir 16 ans, en paraît 23 ! ».
On pourrait à l’envi poursuivre ces allers-retours entre le livre et le fi lm. Ils s’opposent souvent, mais surtout ils se complètent. Après avoir lu le premier et vu le second, on éprouve le même sentiment que celui offert par une audience réussie : quand, de la confrontation des regards, naît une vérité judiciaire fragile, mouvante, complexe, proche de la vérité tout court.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck