EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 4 – 28 JANVIER 2019
LA SEMAINE DU PRATICIEN EN QUESTIONS
IMPÔT SUR LE REVENU
Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu
Les enjeux d’aujourd’hui et de demain

Le « big bang » du prélèvement à la source (PAS) de l’impôt sur le revenu (IR) étant derrière nous, il convient désormais de commencer à évaluer ce changement au triple point de vue de la compréhension du processus de décision administrative, des enjeux juridiques et des performances de la gestion publique. Utile dans son principe, la réforme a été fragilisée par de mauvais choix de méthode tenant aux conditions politiques dans lesquelles elle a été mise en oeuvre. Mais par chance, la discussion des insuffisances du projet conçu par Bercy peut servir à corriger ces défauts de naissance en s’appuyant sur les investissements déjà réalisés.
Marc Wolf, avocat, ancien directeur adjoint à la Direction générale
des impôts et à la Direction de la législation fiscale
À quels objectifs la réforme est-elle censée répondre ?
Il existait deux bonnes raisons – disjointes – de mener cette modernisation,
même limitée au recouvrement : 1/ une meilleure synchronisation entre paiement de l’impôt et encaissement des revenus ; 2/ une réduction des coûts de gestion. S’agissant du calendrier de recouvrement, on sait qu’il est inhérent à un impôt progressif assis sur le revenu annuel que la liquidation définitive n’intervienne qu’en n+1, une fois l’exercice clôturé.
Par suite, on ne saurait se passer d’une régularisation ex post, s’appuyant sur la déclaration globale des revenus, symbole du consentement à l’impôt. Les acomptes étaient jusqu’à présent exigés la même année que le solde final avec pour conséquence d’affaiblir la compréhension de l’impôt, en particulier à la suite d’un changement de situation quand il fallait acquitter des sommes importantes avec un revenu disparu dans l’entre-temps.
Sous l’angle de la qualité du service public dans un monde toujours plus incertain, le recalage du paiement était donc indispensable pour le synchroniser avec la « disposition du revenu », fait générateur de l’IR tel qu’il est proclamé à l’article 12 du CGI. C’est le sens du slogan des deux ministres successifs de la réforme, « L’impôt s’adapte à votre vie ! ». Dans l’abstrait, pour autant, cet objectif de prélèvement en temps réel n’impliquait aucunement une collecte par les tiers (employeurs ou organismes sociaux).
C’est ici qu’intervient un second enjeu, de gain massif d’emplois publics. Le modèle français de gestion de l’IR a été construit sur un réseau de guichets dédié à accompagner la « phobie administrative » des redevables, en consacrant des millions de journées/agents à les convaincre de s’enregistrer et de respecter leurs obligations fiscales. Dans le contexte des technologies de l’information et de la communication (TIC), l’intérêt de collecter l’impôt sur le bulletin de paye ou de pension va être de renverser la relation au profit d’une nouvelle logique : « on prend l’argent à la source, et s’il y a lieu ce sera ensuite à vous de corriger en ligne » . En sécurisant la recette, l’externalisation du recouvrement associée à la dématérialisation des circuits autorise dès lors une réingénierie complète du processus administratif qui à moyen terme conduira à faire l’économie des services locaux.
En quoi les exemples étrangers pouvaient-ils servir de modèle ?
On n’a pas assez mesuré qu’en arrivant après les autres, la France disposait d’un bel avantage potentiel : tirer le meilleur parti des TIC et du progrès de la collecte des données fiscales et sociales pour inventer un schéma plus performant. Ce qui bloquait chez nous depuis un demi-siècle, c’est l’incapacité à concilier la personnalisation de l’impôt avec un refus absolu (d’inspiration sociale et politique) de visibilité par l’employeur. Dans ce contexte, où il n’est même pas admis d’utiliser le NIR (numéro d’identification sociale) dans les applications fiscales, la DGFiP s’est malheureusement contentée de reproduire paresseusement les solutions déjà connues.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck