[Etude] Les défis juridiques du Libra et plus généralement des cryptomonnaies

EXTRAIT DE LA REVUE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER – N° 1 – JANVIER-FÉVRIER 2020 –

Hubert de VAUPLANE, associé, avocat au Barreau de Paris, Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP

Le Libra et plus généralement l’apparition des crypto-monnaies sont l’occasion depuis plusieurs mois d’une abondante littérature, le plus souvent sur les enjeux posés par ce nouvel instrument : enjeux technologiques, politiques, monétaires, financiers, juridiques, ou économiques. La tonalité des articles peut être panégyrique, sceptique, voire franchement hostile. Mais jamais indifférente. Cela tient à l’ampleur du phénomène dans ses promesses, alorsmême – pour ne prendre que l’exemple du Libra – qu’il ne s’agit que de projets, ou à tout lemoins d’expérimentation balbutiante. Comment expliquer un tel intérêt soudain alors que le Bitcoin est apparu il y a maintenant dix ans, et que les projecteurs médiatiques se sont tournés vers ces instruments ces deux ou trois dernières années ? Bien sûr, les nouveautés des usages de la technologie expliquent ce soudain intérêt. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’ampleur du phénomène. En fait, l’arrivée des géants du digital comme Facebook, Telegram et autres ont changé la donne, faisant passer ce qui était encore un simple épiphénomène à une possible transformation en profondeur de certaines activités économiques, voire même du financement de l’économie.

1 – Le projet Libra

1 – Libra est un projet que l’on pourrait qualifier de « fait social global », c’est-à-dire qu’il touche à plusieurs aspects de la vie en société en même temps, au point de vouloir transformer la société elle-même, en particulier dans ses dimensions relationnelles entre individus et dans les relations à l’argent.C’est la dimension mephistophélissienne du projet qui conduit aux doutes, voire aux peurs.

2 – Mais de quoi s’agit-il précisément ?

2 – Techniquement, et comme le livre blanc de Libra l’indique, le Libra est avant tout « une base de données décentralisée et programmable conçue pour prendre en charge une cryptomonnaie à faible volatilité qui pourra servir de moyen d’échange efficient pour des milliards de personnes dans le monde ». Libra est à la fois une blockchain sécurisée permettant le transfert de transactions et un mode de paiement adossé à une réserve d’actifs conçue pour lui apporter une valeur intrinsèque stable. La gouvernance de Libra est effectuée par une association de droit suisse qui est chargée de guider l’évolution de l’écosystème. Le Libra ne fonctionne pas comme la plupart des autres cryptomonnaies existantes . En premier lieu, elle n’utilise pas une blockchain pour regrouper les transactions dans des blocs : ces dernières sont validées une par une par les acteurs du réseau. Libra repose sur un état comptable qui estmis à jour par chaque transaction validée. Chaque transaction contient la racine de l’état pour permettre aux acteurs de se synchroniser au réseau. En deuxième lieu, et dans la mesure où il n’y a pas de chaîne de blocs à proprement parler, Libra n’utilise pas les modèles de consensus habituels que sont la proof-of-work ou la proof-of-stake, mais utilise un nouvel algorithme de consensus : Libra BFT dont le principe est d’être fondé sur l’honnêteté des acteurs du réseau, par la preuve d’enjeu. L’objectif du consensus est qu’au moins deux tiers des participants doivent être honnêtes pour que la blockchain Libra fonctionne. Il n’est donc pas nécessaire d’aligner un nombre considérable de validateurs pour s’assurer du caractère non altéré de l’information ; un nombre limité de participants avec une sélection de ces derniers sont suffisants pour assurer la fiabilité du système. En ce sens, le Libra n’est pas une blockchain publique,mais permissionned. Ce fonctionnement permet à Libra d’effectuer un nombre élevé de transactions à la seconde, mais le revers de la médaille est que la décentralisation de la blockchain est limitée.

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AUTEUR(S) : Thierry Bonneau, Dominique Legeais, Hervé Le Nabasque