Le droit de la propriété intellectuelle à l’épreuve des technologies robotiques

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°37

LA SEMAINE DU PRATICIEN EN QUESTIONS

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
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Le droit de la propriété intellectuelle à l’épreuve des technologies robotiques

Marie Soulez, avocat à la Cour, directeur du département Propriété intellectuelle contentieux, Alain Bensoussan Avocats Lexing

Le droit de la propriété intellectuelle a su évoluer, lorsque les progrès technologiques l’imposaient, afin de rester juridiquement efficient : l’exemple du logiciel – qualifié d’oeuvre de l’esprit mais inséré dans un régime propre – et celui des bases de données, pour lesquelles un droit sui generis a été adopté, l’illustrent ; plus récemment, la jurisprudence s’est chargée de façonner un corpus de règles propres aux
sites internet. Aujourd’hui, le développement de l’intelligence artificielle et des technologies robotiques suscite des interrogations sur la pertinence du droit positif.

 

Que doit-on appréhender lorsque l’on parle de robotique et de propriété intellectuelle ?
Il convient d’envisager la protection du robot à un double niveau : d’une part, celle du robot lui-même ; d’autre part, la protection des oeuvres générées par le robot.
Concernant la protection du robot, une approche classique du droit de la propriété intellectuelle recommande de distinguer la protection de l’enveloppe du robot (sa forme extérieure, son apparence) de la protection des éléments qui le composent : notamment les logiciels, bases de données, algorithmes, circuits électroniques. La protection des éléments robotiques s’inscrit ainsi dans une acception classique de la protection des créations. Néanmoins, le développement de l’intelligence artificielle pose de nouvelles questions : le robot peut-il créer des oeuvres au sens du droit d’auteur ? Partant, le droit positif propose-t-il des solutions adaptées ?
Une chose est sûre : l’appréhension par la propriété intellectuelle de la robotique constitue un enjeu majeur. Dans son rapport 2015 sur la propriété intellectuelle dans le monde, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle identifie un développement exponentiel de dépôts de brevets dans le domaine de la robotique, reflet d’une course effrénée à l’innovation dans le domaine des technologies robotiques et d’une évolution constante des techniques.
Quelle protection le droit offre-t-il aux technologies robotiques ?
En se fondant sur le droit positif et sur la jurisprudence applicable aux créations complexes qui intègrent des composants multiples ( Cass. 1 re civ., 25 juin 2009, n° 07-20.387 : JurisData n° 2009-048920 ), chaque composant intégré dans un robot pourrait se voir appliquer le régime juridique qui lui est propre en fonction de ses caractéristiques techniques et des orientations stratégiques du concepteur et de l’industriel. Ainsi, devront être appréciées selon leur propre régime de protection des créations de nature différente au régime de protection distinct grâce à une qualification distributive. À ce titre, les robots, les technologies mises en oeuvre et les éléments le composant sont susceptibles de protection intellectuelle : brevets, certificats d’utilité, dessins et modèles, marques, droit d’auteur, protection des savoir-faire.
Les créations de forme originale et susceptibles d’être qualifiées d’oeuvres de l’esprit pourront être protégées par le droit d’auteur.
C’est notamment le cas des logiciels ou de la structure de sa base de données. Dans le même temps, le droit sui generis des bases de données protégera l’investissement substantiel sur le contenu de la base, le droit des semi-conducteurs instauré par la directive 87/54/CE du 16 décembre 1986 permettra la protection de la topographie finale ou intermédiaire d’un produit semi-conducteur et les brevets protègeront les innovations techniques répondant aux critères de nouveauté, d’inventivité et d’application industrielle, et le certificat d’utilité délivré par l’Institut national de la propriété intellectuelle constituera un instrument de protection plus léger que le brevet. Enfin, les concepteurs et industriels pourront optimiser la protection des éléments non brevetés ou non protégeables par la mise en place d’une politique de secret, ce qui devra en particulier être le cas pour les algorithmes, au centre du déploiement des technologies robotiques et de l’intelligence artificielle.
Au-delà de la protection des composants, il faut envisager la protection du design du robot : par le droit d’auteur, sous réserve d’originalité, par le droit des marques, le robot étant appréhendé comme un produit en classe 7 dans la classification de Nice, ou encore par le droit des dessins et modèles qui protège les caractéristiques du produit qui ne sont pas imposées par sa fonction technique ( CA Paris, pôle 5, ch. 1, 20 mai 2009, n° 08/01048 ). Le design est alors au centre de l’objectif de protection et de nouveau soumis à des régimes juridiques distincts.
Quelles sont les limites du droit classique de la propriété intellectuelle confronté à l’objet robot ?
L’approche différenciée par élément et par qualification entraîne une application distributive de régimes juridiques distincts. L’efficacité du maillage de protection est alors mise à mal par ses difficultés d’application pratique. Par exemple, le brevet offre un monopole d’exploitation de vingt ans, le certificat d’utilité de six ans et le droit d’auteur de soixante-dix ans après la mort de l’auteur. L’ensemble technologique considéré pourrait ainsi être protégé pour partie de ses éléments et libre pour d’autres.
Si l’on considère le robot pris dans son intégralité, on s’interroge sur la définition de l’originalité applicable : l’empreinte de la personnalité de l’auteur, acception traditionnelle de l’originalité ( Cass. 1 re civ., 5 mai 1998, n° 96-17.184 : JurisData n° 1998-001920 ), ou l’effort personnalisé allant au-delà d’une simple logique automatique et contraignante ( Cass. ass. plén., 7 mars 1986, n° 83-10.477 : JurisData n° 1986-000125 ).

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LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 37 – 12 SEPTEMBRE 2016

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