[Portrait] Denis Salas, l’Histoire au présent

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 46 – 11 NOVEMBRE 2019

LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS

Denis Salas, l’Histoire au présent

À l’heure où certaines instances de recherche sont menacées de disparition, Denis Salas, magistrat détaché de ses fonctions, président de l’Association française pour l’histoire de la justice placée sous l’égide du garde des Sceaux, oeuvre pour préserver la mémoire de la justice.

À une institution judiciaire « à l’image déformée par les passions », mal connue du grand public, Denis Salas consacre ses réflexions et recherches. Président depuis 2015 de l’Association française pour l’histoire de la justice, créée en 1987 par Robert Badinter, il s’attache, entouré d’une équipe pluridisciplinaire, à reconstituer les grands moments de l’histoire de la justice qu’il faut « sans cesse revisiter, pour lutter contre le rôle mineur que lui attribue notre culture politique ».

Pour préserver « ce patrimoine mémoriel et humain », outre le travail sur les procès historiques – Touvier, Barbie, Papon -, mais aussi sur des affaires oubliées, l’Association organise des conférences, des journées d’études en région, anime le Salon du Livre judiciaire et met à disposition des archives orales sur son site (afhj ). Des hommes et femmes de loi « qui ont croisé l’histoire » y apportent leur témoignage : Simone Rozes, première femme présidente de la Cour de cassation, ou Pierre Truche, éminent magistrat et ancien président de l’Association. Afin de promouvoir les travaux de recherche, d’autant plus important que leurs structures sont menacées car jugées trop éparpillées et coûteuses, Denis Salas dirige, en parallèle, Les Cahiers de la justice (Dalloz-ENM).

Longtemps juge des enfants, plus brièvement juge d’instruction, Denis Salas est venu à la recherche, par « besoin d’oxygène intellectuel », en menant de front ses fonctions de juge et une thèse sur le procès pénal sous la direction de Mireille Delmas-Marty. « La dimension réflexive de la thèse permet de prendre de la distance avec des fonctions qui peuvent être dévoratrices ». En 1994, il rejoint Antoine Garapon à l’Institut des Hautes études sur la Justice (IHEJ), ce « petit CNRS de la justice » créé par Michel Rocard. Comme chercheur, il se meut en intellectuel, découvre un rôle pédagogique, et public. « Il faut expliquer la justice aux citoyens, par exemple, dernièrement ce qu’est en réalité le “procès politique” (V. JCP G 2019, Edito 1039). Il ne faut pas se dérober à cette tâche car qui d’autre l’assurerait ? ».

Cette parole publique est précieuse et respectée. Avec hauteur de vue, avec sagesse, l’essayiste diplômé de Sciences politiques, partage ses réflexions sur l’acte de juger, l’erreur judiciaire, les relations entre justice et politique auxquels il a consacré de nombreux écrits. Il parle de sa collaboration avec le philosophe Paul Ricoeur dont il admire le texte sur « L’acte de juger » (1995), « un texte lumineux qui a dévoilé pour la première fois à mes yeux le sens et la portée d’une décision de justice ». Denis Salas s’interroge sur la justice d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Il défend les audiences filmées rempart contre une « justice invisible », se défie de l’omniprésence d’images, reflets de « l’émotion pure », et insiste sur le rôle de l’audience, « espace de suspension de la violence où on ne se parle plus de meute à meute, mais d’individu à individu ». Le magistrat dit ses inquiétudes sur l’usage de la visioconférence, sur le développement des legaltech prompts à réduire la créativité judiciaire, tout en saluant l’open data des décisions de justice, une avancée vers plus de transparence…

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck